Face à la hausse des suicides dans la police, un programme se met en place avec des " sentinelles " chargées de détecter les agents en détresse.
Une barbe mal rasée, une soudaine agressivité, des retards répétés: des " signaux d'alerte " que les premières " sentinelles " de la police sont chargées de déceler chez leurs collègues en souffrance. Ces agents " sentinelles " commencent à être formés avec l'espoir d'enrayer les vagues de suicides qui endeuillent l'institution depuis vingt-cinq ans.
Une formation de deux jours
Pendant deux jours, treize policiers et agents administratifs (huit femmes et cinq hommes) ont suivi l'une des premières formations organisée à Vélizy-Villacoublay (Yvelines), au siège de la direction zonale des CRS Paris.
CRS, sécurité publique, police judiciaire, DGSI... tous les métiers de la police sont représentés parmi les stagiaires. Les agents sélectionnés pour devenir " sentinelles " ont été " repérés comme ayant des profils empathiques et à l'écoute ", explique à l'AFP le policier Rafael Allard, co-animateur de la formation.
" Deux affaires de viol sur des enfants, ça m'a anéanti "
Olivier, l'un des stagiaires, s'est porté spontanément candidat. Ce major, en poste à Enghien-les-Bains (Val-d'Oise), a connu il y a cinq ans un burn-out suivi d'une dépression. " J'ai eu deux affaires de viol sur des enfants de 4 ans en une semaine, ça m'a anéanti ", confie le quinquagénaire à l'AFP.
Il passe alors quatre mois au château du Courbat (Indre-et-Loire), spécialisé dans l'accueil des forces de l'ordre en souffrance psychologique, et réussit à remonter la pente. " Depuis mon passage, j'ai envoyé plusieurs collègues là-bas, j'ai déjà fait un peu la sentinelle ", ajoute-t-il.
45 policiers se suicident chaque année
Depuis 2001, 45 policiers se suicident en moyenne chaque année, sans que les dispositifs successifs de prévention ne parviennent à les endiguer. Depuis le début de l'année 2022, la police nationale a déjà déploré 30 suicides, dont 12 pour le seul mois de janvier.
" Le suicide, c'est très tabou, encore plus dans la police. On n'en parle que lorsque ça arrive, quand c'est trop tard ", raconte Olivier, l'un des stagiaires, à l'AFP.
1950 " sentinelles " en 2022
En réaction, Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale a annoncé vouloir former 1950 " sentinelles " en 2022, soit une pour 70 à 80 fonctionnaires. Pour l'heure, 81 agents ont été formés.
Leur rôle : " tendre des perches ", martèle Rafael Allard. " Ne comptez pas sur vos collègues pour venir vers vous. Pour beaucoup, parler de ses problèmes est impudique ".
Une grille pour estimer l'intensité de la souffrance
Une grille d'évaluation, avec des drapeaux de couleur, aide les stagiaires à estimer l'intensité de la souffrance d'un collègue et, ainsi, ajuster l'attitude à adopter.
Quand le policier présente des troubles de l'appétit, devient irritable ou augmente sa consommation d'alcool, c'est un simple drapeau jaune. En cas de propos suicidaires, même élusifs, c'est un drapeau rouge. " Les personnes en souffrance interpellent rarement de façon claire et explicite, d'où la possibilité de passer à côté ", souligne Rafael Allard.
Le drapeau noir, enfin, se lève à l'évocation d'un scénario, d'une date et de l'arme, annonçant un passage à l'acte imminent. Dans ce cas, la hiérarchie doit être immédiatement informée pour procéder au désarmement. Depuis 2000, en moyenne, 60% des policiers qui se suicident chaque année le font avec leur arme de service.