Ils se surnomment shooters et diffusent leurs exploits sanguinaires sur les réseaux sociaux. Bienvenue dans la France du narcotrafic du XXIe siècle.
Jean-Michel Décugis est grand reporter au service police et justice du journal Le Parisien-Aujourd’hui en France. Il vient de publier, avec ses confrères Vincent Gautronneau et Jérémie Pham-Lê, Tueurs à gages. Enquête sur le nouveau phénomène des shooters (Flammarion). Recrutés sur Snapchat ou Telegram, Nike aux pieds, survêtement Lacoste en panoplie, ils ont entre 14 et 20 ans et exécutent des contrats, pour quelques milliers d’euros, afin de régler des comptes entre gangs de narcotrafiquants. Ils se surnomment shooters et diffusent leurs exploits sanguinaires sur les réseaux sociaux. Bienvenue dans la France du XXIe siècle.
Lyon Capitale : Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Jean-Michel Décugis : En 2023, à Marseille, pourtant habituée aux règlements de comptes sanglants, quarante-neuf personnes sont tombées sous les balles de jeunes tueurs à gages. Du jamais-vu. C’est un peu plus de la moitié des règlements de comptes en France cette année. On ne pouvait pas laisser sans explication ces quarante-neuf morts. C’est intéressant de comprendre pourquoi, par qui et comment ces meurtres sont commandités. En enquêtant, on s’est rendu compte qu’il y avait deux gangs qui se faisaient la guerre : Yoda, du nom du personnage de Star Wars tagué sur les murs de la cité de La Paternelle, point majeur du trafic de drogue et la DZ Mafia – DZ pour “Djazaïr”, (Algérie en arabe). Avec des tueurs à gages, qui se surnomment entre eux shooters [de shoot, tirer en anglais, NdlR] qui gravitent dans un univers d’ultra violence obscène, sans foi ni loi, qui rappelle celui des sicarios, ces tueurs sous contrat qui sévissent en Amérique du Sud, employés par les mafias ou les cartels de la drogue pour éliminer les membres de bandes rivales ou terroriser les bidonvilles.
Le terme de “mexicanisation” de la criminalité a été employé pour la première fois, publiquement, par le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone. C’était au printemps dernier, devant la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic. Est-ce un abus de langage ou une réalité ?
Nous, nous n’avons pas peur de parler de “mexicanisation” de la criminalité. Mais il y a toujours des gens pour minimiser. C’est vrai qu’au Mexique, il y a environ 30 000 morts par an, contre “seulement” 400 victimes en France l’année dernière, règlements de comptes et tentatives d’homicide compris. Mais les méthodes sont les mêmes : on utilise de la chair à canon qu’on recrute via les réseaux sociaux pour aller tuer. Il y a des histoires qu’on raconte dans le livre qui sont sidérantes : comme celle d’un détenu de la DZ Mafia qui va endormir un autre détenu du clan Yoda et qui va le violer, filmer la scène et la mettre sur les réseaux sociaux. Ou l’histoire d’un dealer dont le corps a été trouvé calciné, dans le coffre d’une voiture brûlée, la tête et le tronc posés sur les bras et les jambes détachés du corps. Le légiste a précisé que l’homme avait été démembré avec un instrument qui avait permis “des sections nettes et franches au niveau de la racine et des membres” et “avec professionnalisme”. Selon les policiers, il ne s’agissait pas de simplement tuer, il y avait clairement la volonté de marquer les esprits comme peuvent le faire les cartels mexicains.
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