Syrie : fin du jeu à la française

Longtemps, la diplomatie française est restée à la pointe du combat contre Bachar al-Assad. Récemment, Laurent Fabius et François Hollande voulaient même livrer des armes aux rebelles syriens, avant de se raviser en précisant qu’il fallait d’abord s’assurer de les mettre entre de bonnes mains. Face aux atermoiements français, les États-Unis s’imposent inexorablement comme le grand acteur occidental de la crise, reléguant une fois de plus les Européens au rang de supplétifs.

Fin 2011, la France est parmi les premiers pays à reconnaître la principale organisation de l’opposition syrienne, le Conseil national syrien (CNS). Ses diplomates manœuvrent ensuite habilement pour imposer à sa tête un francophile, Burhan Ghalioun, professeur de sociologie politique franco-syrien, promoteur d’un État laïc et dissident de la première heure. Rien de plus normal finalement si la France, ancienne puissance mandataire en Syrie, occupe la position la plus influente dans les rangs de l’opposition.

L’implication française s’explique aussi par les relations houleuses qu’entretint à l’époque le président français, Nicolas Sarkozy, avec Bachar al-Assad. En 2008, il avait reçu le président syrien au défilé du 14 Juillet, dans un geste d’ouverture et de réconciliation envers cet allié de l’Iran, très contesté sur la scène internationale. “La stratégie du gouvernement français consistait à sortir la Syrie des griffes de l’Iran. Les investissements des pays du Golfe et de l’Europe devaient ensuite s’accroître. Et Bachar al-Assad semblait si bien coopérer que les États-Unis avaient rouvert une ambassade à Damas en janvier 2009”, rappelle Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon II et directeur du groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient.

Trahison

Mais, en février 2010, tout s’effondre : Bachar al-Assad reçoit en grande pompe à Damas le président iranien Ahmadinejad et le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, les deux principaux ennemis de l’Occident dans la région. La diplomatie française se sent alors trahie. Lorsque la crise éclate en Syrie, en mars 2011, l’heure de la revanche a sonné pour la France. Nicolas Sarkozy s’empresse de demander le départ de Bachar al-Assad.

Une position motivée également par les relations économiques de la France avec les pays du Golfe. Les pétromonarchies cherchent elles aussi à se débarrasser d’Assad depuis qu’il pactise ouvertement avec l’Iran. “Il ne faut pas négliger le poids économique des pays du Golfe. Leurs exportations en hydrocarbures, qui s’élèvent à 150 milliards de dollars, correspondent à l’excédent commercial chinois. Il existe d’ailleurs une sorte d’accord tacite avec les Occidentaux : vous nous privilégiez dans la fourniture d’hydrocarbures et l’Otan vous protège”, insiste Fabrice Balanche.

Pressée par le Qatar et désireuse de donner une leçon aux dirigeants syriens, la France s’engage donc sans retenue dans la crise. Ses nombreux réseaux lui permettent de réussir de bons coups, comme l’exfiltration l’été dernier du général Manaf Tlass, le plus haut responsable syrien en exil.

L’homme des Américains

Mais, en mars dernier, la belle mécanique diplomatique semble soudain s’enrayer. Ghassan Hitto (photo) est élu Premier ministre de la Coalition nationale syrienne, au cours d’un scrutin contesté. Créée en novembre 2012, la Coalition a pour but de regrouper le plus largement possible les mouvements de l’opposition. M. Hitto, un homme d’affaires américano-syrien vivant aux États-Unis et proche des Frères musulmans, est sans aucun doute l’homme des Américains, estime Fabrice Balanche. “Plus pragmatiques que les Français, les États-Unis ont admis que les mouvements laïques n’arriveraient pas au pouvoir en Syrie. Ils soutiennent donc les Frères musulmans, plus modérés que les salafistes”, assure le chercheur lyonnais.

La stratégie d’influence française s’affaisse. La nomination par intérim à la présidence de la coalition le 22 avril dernier de George Sabra, ancien communiste et francophone, ne change rien à la donne, d’après Fabrice Balanche : Georges Sabra était le chef du Conseil national syrien, chrétien orthodoxe, opposant borné à Assad. Il est la caution chrétienne et marxiste de l’opposition. C’est l’idéal pour les Frères musulmans, leurs alliés qataris et américains, car il n’a pas de base sociale, donc aucun poids politique.”

Paris ne dispose plus désormais de cartes maîtresses au sein de l’opposition et n’a pas les moyens de contrecarrer le colosse américain. Les initiatives de grande ampleur de l’Oncle Sam se multiplient : déploiement prochain d’une batterie de missiles Patriot en Jordanie, base d’entraînement des rebelles en Jordanie (où dominent les forces spéciales américaines), 400 à 500 millions de dollars d’aide versés.

À cela s’ajoute la déception de l’opposition. Le fait que François Hollande soit revenu début avril sur sa promesse de livrer des armes exaspère les militants syriens : “La position française sur les armes nourrit une certaine déception, admet Monzer Makhous, ambassadeur de la Coalition nationale syrienne en France. J’étais hier soir à une réunion à Istanbul avec des jeunes militants, et tous me demandaient pourquoi la France revenait sur sa décision de livrer des armes.”

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