Tabac et loi Evin : la pipe de Tati sauve le cigare de Che Guevara

Le cigare du Che n'a pas subi le même sort que la pipe de Tati, autorisé à figurer dans le métro parisien. Va-t-on vers une interprétation plus souple de la loi Evin ?

Les affiches des films « Coco avant Chanel » et « Gainsbourg » avaient déjà subi la foudre de la censure de la régie pub de la RATP : leur clope avait été retirée. Tout comme la pipe de Tati, finalement cachée par un moulin jaune. Aujourd'hui pourtant, Che Guevara, cigare au bec, a droit de cité dans les couloirs du métro parisien. Alors, privilège révolutionnaire ou évolution des esprits ?

Cette photo de Che Guevara, prise par René Burri, sur une affiche en 4 par 3 dans le métro parisien illustre la nouvelle campagne de Reporters sans frontières pour la liberté de la presse. Mais montrer le révolutionnaire en train de fumer, voilà qui pourrait heurter quelques sensibilités. La loi Evin du 10 janvier 1991 interdit toute publicité, directe ou indirecte, « en faveur du tabac ».

Alexandre Jalbert, attaché de presse de RSF, ne voit pas vraiment le mal : « C'est vrai qu'on s'est posé la question, savoir si c'était légal ou non. Mais le projet a été accepté par deux régies, Media Transports et Clear Channel. Seul JC Decaux a refusé. »

La régie publicitaire Media Transports (anciennement Métrobus), qui gère entre autres les affiches du métro parisien, avait déjà taillé la pipe de Tati mais a laissé couler cette fois-ci. Katia Ivanoff-Aumaître, porte-parole du groupe, explique : « On a décidé conjointement avec l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) de publier cette affiche, conformément à l'avis qu'ils ont rendu le 1er février 2010. Maintenant, bien sûr, on va suivre ces recommandations pour nos prochaines publicités. » Cette décision de l'ARPP risque donc de modifier le visage des prochaines campagnes de pub.

Avec le Che, la clope sur le retour ?

Suite à la polémique de la pipe de Jacques Tati en avril 2009, l'ARPP avait rendu plusieurs avis pour assouplir et limiter les mésinterprétations de la loi Evin. Sur la base de ces recommandations, des publicités comme celle de Reporters sans frontières sont visibles en ville. Dans la missive du 19 mai 2009, le président de l'autorité Jean-Pierre Teyssier proposait : « Depuis longtemps, l'ARPP et les professionnels de la publicité demandent une interprétation plus souple de la loi pour éviter de tels excès. »

Rebelote en mai 2010, dans un nouveau texte : « La présence de ces attributs du tabac [peut] être tolérée pour des campagnes publicitaires promouvant des manifestations ou des produits culturels (exposition, disques, films, etc.) et utilisant l'image de personnages illustres, notamment disparus, et pour lesquels ces attributs tabagiques font notoirement partie intégrante de leur personnalité. »

Censure assurée

Claude Evin lui même, auteur de la loi anti-tabac, avait fustigé ces mauvaises interprétations, jugeant le retrait de la pipe de Tati « ridicule ». Certaines associations anti-tabac elles-même distinguent ce qui relève de la propagande pure et simple de cigarettes et l'œuvre artistique. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non fumeurs, indique : « Si le Che pose avec son cigare, tant mieux. C'est le contraire qui m'aurait dérangé. La situation normale, c'est de voir ce type d'affiches, pas de les censurer. »

Pour lui, la loi est claire : aucune obligation de censurer la pipe de Jacques ou le cigare d'Ernesto. La polémique Jacques Tati, dit-il, est le résultat d'une « autocensure » de la part de la RATP. La direction de la communication de celle-ci n'a pas souhaité répondre à nos questions, renvoyant la balle vers la régie publicitaire.

Flou juridique autour de la loi Evin

Si, dans les faits, ces nouvelles pubs sont tolérées, un flou juridique persiste quant à l'application de loi Evin. Il faut dire qu'elle est plutôt elliptique : « La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, [est] interdite. »

De quoi agacer Didier Mathus, député socialiste de Saône-et-Loire. Fatigué de voir des artistes ou personnalités censurés pour port de clope, l'élu a retroussé ses manches. En janvier dernier, il dépose une proposition de loi à l'Assemblée nationale qui prévoit un assouplissement de la législation. Pour lui, la loi Evin est utilisée de manière « extensive » et « caricaturale », conduisant à des situations absurdes. Acceptée par la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée, la proposition est finalement retirée par le socialiste. Trop polémique.

Pour clarifier la situation, la secrétaire d'Etat à la Santé Nora Berra s'est engagée à faire passer une circulaire sur le sujet « dans les quinze jours » qui suivent. Trois mois plus tard, toujours rien dans les tiroirs du ministère de la Santé.

Photo : la pub de Reporters sans frontières avec le Che, cigare au bec (Louis Mesplé).

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