Le Crédit Lyonnais, le yacht, l’hôtel particulier, les amitiés politiques à géométrie variable, les démêlés avec la justice, l’Élysée et Marseille en toile de fond… Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme (si peu).
Dans un article signé Gilles Gaetner, on peut lire dans L’Express du 2 juin 1994, sous le titre “Les intrigues du Phocéa”, des phrases qui prennent un relief tout particulier aujourd’hui : "Décembre 1992. La Direction des enquêtes de vérification de situations fiscales a le sentiment que le voilier, immatriculé comme navire de marine marchande, ne sert, en réalité, qu’à l’usage quasi exclusif de Bernard Tapie. Bref, qu’il s’agit d’un bateau de plaisance."
Ou encore, dans le même numéro, un article signé Bruno Abescat, avec Sabine Delanglade et Corinne Scemama, intitulé “Dans la gueule du Lyonnais” : "Le message est clair : si Bernard Tapie était hier un client privilégié, il ne l’est plus. Et s’il continue de mener un train de vie somptuaire, dans son bel hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, à Paris, il n’a jamais été non plus si vulnérable."
Un capitaliste sans capital
Ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, c’est que Bernard Tapie n’a jamais repris que des sociétés en difficulté grâce à des capitaux publics, pour les "dégraisser" avant de les revendre rapidement à prix d’or pour son bénéfice personnel. S’il n’a rien d’un entrepreneur, il n’a rien non plus d’un "sauveur d’entreprises", comme il aimait pourtant à se présenter, avec un succès indéniable auprès des néophytes, dans les années 1990. Dans l’affaire Adidas, il a, comme à son habitude, réussi à persuader un certain nombre de décideurs – et non des moindres – que c’est bien lui qui a été floué par le Crédit Lyonnais. Or, la vérité est tout autre.
En effet, Bernard Tapie n’a jamais sorti un centime de sa poche pour l’acquisition d’Adidas, en juillet 1990. Sur ordre de François Mitterrand, un pool bancaire dirigé par la SDBO prêtera la totalité de la somme (1,6 milliard de francs) au protégé de Tonton. Mais, quelques mois plus tard, fin 1992, Tapie signe déjà un mandat de vente au profit de la même SDBO, à charge pour la banque de trouver des acquéreurs en échange du capital qu’il détient encore. Miracle parmi les miracles, des entreprises publiques viendront à la rescousse de Tapie – une nouvelle filiale du Crédit Lyonnais, plus les assureurs AGF et UAP, qui monteront jusqu’à 42 % du capital ! La vente est officiellement annoncée le 15 février 1993. On connaît la suite.
Vingt ans plus tard, ce qui étonne et sidère, c’est qu’aucun élu UMP de premier plan ne crie au scandale, à l’instar du centriste François Bayrou par exemple. Au contraire, de nombreuses personnalités proches de l’ancien président Sarkozy ont régulièrement défendu l’arbitrage (on les entend moins, il est vrai, depuis quelques jours), aujourd’hui au cœur des enquêtes judiciaires. Tapie fascinait Sarkozy. Sarkozy fascinait Tapie. Et tous deux semblaient fasciner les élus UMP. Au premier degré, ceci explique sans doute cela. Comme on peut le lire dans l’excellent livre de Denis Demonpion et Laurent Léger – Tapie-Sarkozy, les clefs du scandale –, "ils se sont trouvés, prospérant comme des champignons sur le terreau d’une société française en état de déliquescence par un phénomène biologique bien connu. Ce qui procède des mêmes facteurs finit par se rassembler".
Dans son ouvrage paru hier chez Plon, Bernard Tapie écrit quant à lui, à propos de Nicolas Sarkozy : "C'est vrai. Je l'ai vu de nombreuses fois, à peu près tous les deux mois, avant, pendant et après qu'il soit président de la République. Sans être intimes ou même proches, nous avons échangé. Sur l'Europe, sur les banlieues, sur la formation des jeunes, sur nos visions de l'entreprise, sur l'état de l'opinion, bref sur des sujets qui m'intéressent et où le président de la République voulait mon avis, même si ça n'était pas souvent le sien." Une telle hauteur de vues, même divergentes, ne manquera pas d’interpeller les magistrats.