Le dossier de l’arbitrage rebondit de manière inattendue du côté des comptes de l’OM. L’arbitre Pierre Estoup serait intervenu en 1998 pour éviter une peine de prison ferme à Tapie. Plongée au cœur d’une nouvelle affaire judiciaire marquée par la raison d’État.
Et si l’affaire du Lyonnais n’était que la première étape, le premier chapitre d’un scandale d’État ? Loin des salons feutrés de l’Élysée où semble s’être joué en 2008 le fabuleux destin de Bernard Tapie, c’est sur la Canebière que les policiers chargés d’élucider les dessous de ces connexions occultes ont désormais posé leurs valises.
Où l’on retrouve Pierre Estoup
En fait, c’est tout le passé judiciaire de l’homme d’affaires qui est passé au crible, qu’il s’agisse de ses contentieux financiers comme de ses déboires devant les juridictions pénales. Pierre Estoup, clef de voûte du controversé arbitrage, est de nouveau au cœur de la polémique dans les affaires concernant l’Olympique de Marseille. Le Monde révèle en effet dans son édition du 21 juin que le magistrat est désormais soupçonné d’être intervenu en juin 1998 auprès du président de la cinquième chambre correctionnelle de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, pour éviter à Bernard Tapie le prononcé d’une peine de prison ferme dans le nébuleux dossier des comptes de l’OM. L’affaire est donc grave pour celui qui est déjà mis en examen pour “escroquerie en bande organisée”.
Des transferts lucratifs
Ce dossier dit des comptes de l’OM avait été ouvert à la suite d’une perquisition opérée le 19 novembre 1990 par les enquêteurs de la PJ au siège de l’OM. Ces derniers y avaient saisi divers documents qui permettaient d’établir d’importants détournements de fonds à l’occasion de transferts de joueurs, pour un total estimé à 26 millions d’euros. Le dossier prendra sa véritable ampleur médiatique à la suite du scandale OM-VA. Plusieurs agents et les principaux dirigeants de l’OM sont alors mis en examen (on disait à l’époque “inculpés”) aux côtés de Bernard Tapie. En juillet 1997, celui-ci est condamné en première instance à trois ans de prison dont dix mois ferme, ce qui implique un possible retour en détention après un premier séjour à la prison de Luynes dans le dossier OM-VA. Le 30 juin 1998, c’est le soulagement : il n’écope devant la cour d’appel d’Aix que de trois ans de prison avec sursis. Tapie respire, alors que les policiers et magistrats qui ont travaillé sur le dossier ne cachent pas leur désarroi.
Pour la défense, menée à l’époque par Me Vincent Pinatel, ce n’est que justice : “C’est l’absence établie d’enrichissement personnel de l’homme d’affaires dans le dossier qui a justifié juridiquement ce revirement des juges. Ce qui est d’ailleurs conforme à la jurisprudence constante de la cour d’appel d’Aix. J’ajoute que le président Lapeyrère, qui a rendu cette décision, est un magistrat d’une grande intégrité.”
La sérénité de la justice mise à mal
Il n’empêche, ce n’est pas la seule suspicion qui entache ce dossier. L’instruction, menée durant près de six ans par le juge d’instruction Pierre Philippon, ne se serait pas déroulée avec toute la sérénité nécessaire. “Personne ne comprend en effet pourquoi cette affaire a été renvoyée à l’audience alors que deux commissions rogatoires internationales délivrées au Portugal et en Grèce n’étaient pas encore rentrées. Elles visaient les deux intermédiaires clefs du dossier : Spyros Karageorgis et Manuel Barbosa. 67 commissions rogatoires ont au total été délivrées. 65 sont rentrées, mais il manquait les deux principales”, explique une source judiciaire de l’époque. Les demandes effectuées par le juge d’instruction visaient en fait à établir un retour possible de fonds vers Bernard Tapie ou d’autres personnes, via notamment des virements effectués dans des banques suisses.
Karageorgis, le grand argentier longtemps recherché, sera de son côté jugé plusieurs années plus tard. Il ne pipera pas mot sur les possibles bénéficiaires occultes de ces surfacturations de commissions. Quant au truculent Sud-Américain Barbosa, il n’a pas davantage éclairé les juges.
Instruction sous surveillance
Bernard Tapie aurait-il ici aussi bénéficié d’une protection au plus haut sommet de l’État ? L’instruction s’est en tout cas déroulée sous haute surveillance, à défaut d’être sous haute influence. Certains magistrats se sont ainsi étonnés que le parquet de Marseille ne requière pas la mise en détention du directeur financier de l’OM, Alain Laroche, alors que de lourdes charges justifiaient cette mesure. C’est finalement le magistrat instructeur qui, de son propre chef, placera Laroche à la prison des Baumettes.
Ce même parquet, en contact permanent avec la Chancellerie, aurait dû logiquement requérir un supplétif pour retarder le renvoi du dossier devant la juridiction de jugement. Il ne l’a pas fait. Pourquoi ? Certaines questions entourent en outre la promotion accordée début 1996 au juge Philippon, qui a eu pour effet de le contraindre à boucler prématurément son instruction…
Que dire du refus de l’Assemblée nationale de lever l’immunité parlementaire de Bernard Tapie, comme le réclamait le juge Philippon qui souhaitait alors le placer en détention ? Il a fallu par la suite toute la fureur du scandale OM-VA pour emporter Tapie vers les geôles. Mais il semble bien que l’on a “freiné des deux pieds” dans l’affaire des comptes de l’OM. L’un des dossiers sans aucun doute les plus sensibles des années Tapie.