Terrorisme : "On veut la sécurité mais pas les contraintes"

Spécialistes de la sécurité, Pierre Martinet et Daniel Rémy ont répondu aux questions de Lyon Capitale, une semaine après la fin de cavale d'Anis Amri. Pour faire face à la menace terroriste en Europe ils prônent notamment une restriction ferme des libertés de circulation.

Les premiers éléments de l'enquête devant déterminer le parcours d'Anis Amri, principal suspect de l'attentat au camion-bélier qui a fait 12 morts lundi 19 décembre sur un marché de Noël de Berlin, indiquent que ce dernier a pu traverser plusieurs pays d'Europe sans être repéré. L'occasion pour les responsables des Républicains, du Front national ou encore de Ukip, en Grande Bretagne, de remettre une nouvelle fois en cause l'espace Schengen.

De son côté, Lyon Capitale a contacté des spécialistes de la sécurité pour tenter de comprendre les failles de sécurité mises en lumière par cette cavale. Parmi eux Pierre Martinet, ex-agent de la DGSE et Daniel Rémy, qui travaille dans ce milieu depuis 1976. Au-delà de leur volonté, potentiellement intéressée, de renforcer la collaboration de la police avec les sociétés de sécurité privée, ils appellent à la mise en place de mesures de dissuasion et de prévention. Par le développement du renseignement et la restriction des libertés de circulation.

Comment Anis Amri a-t-il pu transiter par plusieurs pays d'Europe, notamment en France sans être repéré ?

Pierre Martinet : C'est très simple de se balader sans être reconnu. Si on n'utilise pas de carte bleue, que l'on ne se déplace pas en avion, que l'on maîtrise quelques techniques de clandestinité que l'on sait changer d'apparence ; c'est très facile. Dans les trains par exemple, on demande simplement d'avoir un billet mais il n'y pas de contrôle des pièces d'identité.

Daniel Rémy : On suit les individus dangereux, mais il y en a des milliers. Les frontières sont extrêmement poreuses, on ne contrôle rien ou pas grand-chose. La meilleure preuve, c'est que lorsqu'on évite le pire c'est sur un coup de chance (comme dans le Thalys, NdlR). A Milan encore, c'est un hasard.

Les réponses des responsables politiques ne semblent pas vous convaincre...

Pierre Martinet : Les hommes politiques ne sont pas à la hauteur de l'enjeu, ils ne vendent que des effets d'annonce et ne sont que dans la réaction. Il faut des vraies mesures, arrêter de se raconter des histoires. Je trouve cela incroyable de voir un ministre de l'Intérieur pavaner sur un plateau télé en disant que l'État nous protège.

Daniel Rémy : Cela fait 40 ans que l'on nous raconte des fables, que l'on nous raconte que l'État maîtrise, mais c'est faux. Et là, je ne blâme pas un gouvernement plus qu'un autre. Pour prendre un exemple, lors de la Cop 21, Greenpeace est parvenu à organiser une opération de plus d'une heure place de l'étoile, en plein Paris. Dieu merci c'était Greenpeace.

Comment lutter face à la menace terroriste ?

Pierre Martinet : Aucun gouvernement n'est capable de dire que l'État ne peut pas tout. Pourtant il faudrait prendre ce virage à 180° et dire que certaines fonctions régaliennes ne peuvent plus être assurées par lui. Il y a des sociétés privées, qui sont capables de compléter l'action de la police, sans les remplacer. Nous sommes toujours dans la réaction, jamais dans la précaution. Par exemple les contrôles d'accès doivent s'effectuer avant d'entrer dans les gares. Prenons l'exemple d'Israël qui est en guerre depuis 70 ans, et bien il y a des check-points partout.

Daniel Rémy : La techniques des politiques pour évacuer leur responsabilité est de dire que la sécurité à 100% n'existe pas et que donc on ne peut rien faire, mais c'est archi faux. Rien qu'avec des mesures de bon sens et à peu de frais on pourrait arriver à un niveau de sécurité de 85% à 90%. Notamment par le renseignement, en amont. De ce point de vue supprimer les RG (renseignements généraux, Ndlr) locaux qui assuraient un maillage territorial était une absurdité. De même que la fin de la police de proximité.

Il faut aussi faire appel au citoyen lui-même. En lui disant que l'État contrôle tout, que c'est à lui d'assurer la sécurité, on le déresponsabilise on l'infantilise. Pourquoi ne pourrait-on pas dénoncer un individu dont on a le sentiment qu'il est dangereux ? Le terme de délation est connoté de par notre Histoire, mais cela se fait bien pour les impôts. Il faut aussi cibler les contrôles et former à l'observation et à la vigilance. Il est assez facile de repérer un individu suspect dans une foule, on peut très facilement détecter des comportement suspects.

Comprenez-vous que l'on puisse rejeter cette vision du tout sécuritaire ?

Pierre Martinet : On veut la sécurité mais on ne veut pas les contraintes qui vont avec. On est en guerre mais est-ce qu'il y a des check-points dans les villes ? Est-ce qu'il y a des fouilles, des palpations systématiques ? Ce n'est pas dans la culture française. La sécurité engendre des inconvénients. On ne peut pas dire que l'on est en état de guerre et circuler librement, comme si de rien n'était.

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