"Tous les Lyonnais ont un lien avec la soie"

Pierric Chalvin est directeur général délégué d'Unitex (UNion Inter-entreprises TEXtile Lyon et sa région), l'organisation professionnelle du textile en région qui représente 600 établissements et 17 000 salariés pour un chiffre d’affaires les 3,3 milliards d’euros. Lyon Capitale l'a rencontré à l'occasion du festival de la soie Silk in Lyon.

Silk in Lyon, qu'est-ce que c'est ?

Il y a 14 ans, Intersoie, chargé de défendre les intérêts de la soie française, et Unitex, qui fédère et représente l'ensemble des activités de la filière textile régionale, ont créé le Marché des Soies. Quelques années plus tard, la Ville de Lyon a lancé le festival Label Soie. Nous avons, il y a un an, décidé de réunir les deux événements en une seule et même manifestation sous une marque commune Silk in Lyon.

Quelle est l'intention de Silk in Lyon ?

C'est de faire rayonner la soie lyonnaise en mettant en avant aussi bien les industriels qui produisent et vendent leur production que les créateurs qui l’utilisent ainsi que la partie culturelle comme la manifestation Novembre des Canuts, la Compagnie du Chien Jaune ou la démarche artistique Silk me Back que les parcours des savoir-faire pour montrer les étapes, du ver à soie au carré de soie.

Pourquoi avoir choisi nom anglais ?

À l'époque, quand nous avons réfléchi à baptiser cette manifestation, nous avons lancé un « "atelier créatif". Le vocable de Silk in Lyon a rapidement émergé car notre souhait était de donner une image internationale pour ne pas cantonner l’événement à Lyon et un public seulement local. J'en veux pour preuve la signature, ce jeudi, d'une charte commune venant concrétiser la création du réseau international des villes et métropoles de la soie, Silkcities.

Quelle est l'objectif de ce réseau Silk Cities – probablement organisé sur le modèle du réseau des villes Lumière Luci, lancé à Lyon en 2002 ?  

L'idée de ce réseau Silk Cities est d'avoir de faire dialoguer les villes qui ont une histoire ancienne avec la soie. C'est aussi de créer des passerelles entre les élus, les équipes et les industriels de ces villes et d'échanger sur leurs politiques, notamment dans le domaine touristique de manière à faire rayonner ces bonnes pratiques. Kyoto – qui est la ville invitée de Silk in Lyon cette année – mais aussi Hanghzou en Chine, Londrina et Curitiba au Brésil, Valencia en Espagne et Lyon poseront les premières pierres du réseau Silk Cities dont l'ambition, à l'horizon 2025, est de rassembler une dizaine de villes et métropoles internationales de la soie.

Il y a une dizaine d'années en arrière, on disait que l'industrie textile avait peu d'avenir. Un no future en d'autres termes. Comment expliquez-vous que l'industrie textile, française et régionale, soit aujourd'hui aussi vivante et dynamique ?

Ces dernières années, nous avons assisté à une transformation profonde du textile en France. Nous sommes passés d'une production mass market à une production très spécialisée. Un chiffre : le marché de la mode et de l'habillement représentait à l'époque 90% du chiffre d'affaires global, aujourd'hui, il ne présente plus que 45%. Que s'est-il passé ? Les volumes sont partis en Chine, et le resteront, tandis que la France et la région a opéré un recadrage de sa production sur des activités à forte valeur ajoutée. Il a fallu nous diversifier, nous avons privilégié la qualité. La deuxième raison qui explique que le secteur textile soit aussi dynamique est qu'il y a eu un changement des CSP des salariés. En 2000, plus de 60% des effectifs travaillant dans le textile étaient issus du monde ouvrier. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 42%, avec une multiplication par deux des ingénieurs et des cadres. Il y a donc eu une réorientation des effectifs au sein du secteur. La troisième raison, c'est l'émergence du nouveau marché des textiles techniques. Aujourd'hui, la région Auvergne-Rhône-Alpes est très présente sur le luxe et les textiles techniques qui sont les deux locomotives du secteur. Je prendrai l'exemple d'Hexcel, premier employeur de France du textile avec 1 200 salariés, implanté sur trois sites isérois. L'entreprise est un fournisseur de premier rang d'Airbus et de Boeing. 53% de l'A350 est fait en matériaux composites, donc en matières textiles. La région est aussi très présente sur le textile de santé avec des entreprises comme Thuasne et BV Sport à Saint-Étienne, ou Sigvaris à Saint-Just-Sain,t-Rambert.

La filière textile ne détruit plus d'emplois mais en créée. Est-ce un secteur en tension ?

Il faut avoir à l'esprit trois chiffres : avec 584 entreprises, 17 126 emplois et un chiffre d'affaires consolidé de 3,5 milliards d'euros, la région Auvergne-Rhône-Alpes est aujourd'hui la première région textile de France, soit un quart de la production nationale et entre 28% et 30% du chiffre d'affaires national. Pour répondre à votre question, le textile recrute. En 2020, la filière textile Auvergne-Rhône-Alpes aura besoin de 1 000 personnes. Et ce chiffre ira en croissant. Donc la filière crée des emplois. Mais nous avons du mal à attirer les talents. C’est pour cette raison que cette année, nous mettons l'accent sur les emplois car nous nous retrouvons face à une pénurie. Unitex a d'ailleurs lancé Frenchtex, le premier portail de l’emploi textile en France.

Quels sont les enjeux auxquels est confrontée la filière textile régionale ?

J'en vois quatre. Premièrement, il y a l'enjeu su tout ce qui concerne l'écoconception et la recyclabilité des fibres. Deuxièmement, il y a l'enjeu de la fonctionnalisation des textiles c'est-à-dire comment se servir d'un support textile pour le rendre intelligent, ce qu'on appelle les smart textiles. Sur ce point, les verrous technologiques sont importants.

Le troisième enjeu concerne l'intégration de l'industrie textile 4.0 avec la gestion de l’intelligence artificielle et du big data, qui nécessitera des évolutions et des investissements considérables de la filière. Dernier enjeu, celui de la valorisation du « produire local », de manière à limiter l'impact écologique de la filière textile, dont le président Emmanuel macron a dit, lors du G7 que c'était « le second secteur le plus polluant au monde ». Dans la foulée a été signé le Fashion Pact composée de grands groupes du secteur qui s'engagent à réduire leur impact sur le climat, la biodiversité et les océans. Nous considérons pour notre part que le moyen le plus simple pour les marques de limiter leur impact environnemental est de privilégier les circuits courts en se fournissant auprès des industriels du textile locaux.

À quelle type de concurrence l’industrie textile régionale doit-elle faire face ?

On considère que la Chine n’est presque plus un concurrent car les segmentations de gamme ne sont plus en concurrence. La Turquie est un concurrent redoutable car ils vont du fil au produit fini. Ils ont un statut de membre particulier de l'Union européenne qui leur donne des accès privilégiés au marché européen. Et inexorable dépréciation de leur monnaie depuis quelques années les rend encore plus compétitifs. Sur les marchés plus techniques, l'Allemagne est un concurrent féroce. Quant au luxe, il faut évidemment regarder du côté de l'Italie.

L'année dernière, Silk in Lyon a attiré plus de 8 000 visiteurs en quatre jours. Comment expliquez-vous un tel succès ?

Il existe un lien de proximité très fort entre Lyon, les Lyonnais et la soie. Tous les Lyonnais ont un proche dans leur histoire familiale qui a un lien dans la soie. Il y a une recherche de racines importante. Pour le visitorat plus lointain, ce qui le séduit c'est toute l'histoire que Silk in Lyon raconte autour de ces savoir-faire ancestraux, de cette culture très ancrée sur le territoire régional. Les études le montrent : nous sommes dans une période de recherche de sens et de nos valeurs.

L'exposition Yves Saint Laurent. Les coulisses de la haute couture à Lyon, en ce moment au Musée des Tissus, doit-elle être celle de la renaissance pour le musée, depuis la remise des clefs, en janvier dernier, de la CCI Lyon-Métropole à la Région ?

Oui, cette exposition symbolise le début de la renaissance du Musée des Tissus par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Je rappelle que le Musée des Tissus, contrairement à ce qui peut parfois être dit ou écrit, n'est pas un musée de la mode mais un musée des tissus. Comme l'ont récemment expliqué Esclarmonde Monteil, la nouvelle directrice des lieux, et Aurélie Samuel, la commissaire de exposition, il s'agit d' "un nouveau niveau de lecture qui s'attache à l'aspect technique de la fabrication de ces rovbes de soirées (qui) permet de comprendre de quoi sont faites des robes, de mieux comprendre le tissu".

Comment Silk in Lyon ressuscite la filière de la soie

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