Sommet d'une montagne du Haut-Atlas, Maroc
Fin de montée raide et caillouteuse, avant de verser de l’autre côté @Guillaume Lamy

Trail. Atlas Quest, la promesse d'un ailleurs

Récit d'une échappée belle et berbère de 38 heures à pied dans le profond et hypnotisant Haut-Atlas.

"Une course en montagne dissout le temps, dilate l'espace, refoule l'esprit au fond de soi." Sylvain Tesson avait vu juste, dans le carnet de bord de son récit ("Blanc") de la traversée des Alpes à ski.

Avancer importe seul. Le mouvement est une fin en soi. Et l'effort, la clé, "lié à la conscience de soi, écrit la philosophe Isabelle Queval, parce qu’il révèle une résistance à surmonter, et que cette résistance rend en quelque sorte palpable notre existence”. Et donne de l’épaisseur à nos vies.

L’effort est une expérience originelle. Il est à la source de tout. Il traverse nos vies. Il est, en cela, d’abord physique. Il s’agit, selon le Littré, d’une “contraction musculaire qui a pour objet, soit de résister à une puissance, soit de vaincre une résistance”. L’effort se perd dans la nuit des temps. Il a l’âge des cavernes. Il permet de s’accomplir, de construire quelque chose. Et donc, suppose des sacrifices, voire des souffrances. Une sorte de prix à payer.

C’est dans l’effort que l’on trouve le plaisir, que l’on éprouve de la satisfaction, une certaine plénitude. L’effort est un levier de dépassement de soi. Il permet de se rencontrer.

Se perdre dans l'immensité du haut-Atlas, seul. "Faire l'expérience de la 'résurrection'" comme l'a écrit le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein, ultra-trailer @Guillaume Lamy
Des paysages qui peuvent, à certains égards faire penser aux murs de La Réunion et sa Diagonale des fous @Guillaume Lamy

Le sublime écrase tout

La rencontre a eu lieu pendant près de 38 heures, sur les crêtes minérales et dans les vallées ocres et vertes du Haut Atlas, au tout début du mois d'octobre. Cinquante-et-un inscrits sur l'Ultra Trail Atlas Toubkal, le format XL de l'Atlas Quest. Trente-sept arrivés à bon port, sur le plateau d'Oukaïmeden, petite station de ski lovée à 2 620 mètres d'altitude, et beau pâturage qui s'étend dans la dépression au pied des sommets. Dès le IVe millénaire avant J.-C., les éleveurs du Sahara se repliaient ici.

Lire aussi : Atlas Quest : "c'est une Diagonale des Fous qui passe de 1 600 mètres à 3 700 mètres d'altitude"

Si la géographie a une histoire, elle peut aussi n'être que nue. On la traverse, infiniment petit dans ces paysages de tableau flamand, huilés de soleil et parcourus de petits coureurs-cueilleurs de souvenirs. Le solfège est toujours le même : un pas devant l'autre. Mu par la volonté, un félidé intérieur.

Ici, le sublime écrase tout. Les azbis (abris de bergers en pierres sèches) et les petites maisons improbables des douars à flanc de montagne parsèment cette immensité désertique d'altitude. La nature y est puissante et généreuse, intacte, la lumière éclatante, les parfums envoûtants. Un monde de silence et de contemplation.

A l'aube, un ravitaillement avant d'attaquer 1 000 mètres de dénivelé dans la rocaille @Guillaume Lamy
Un rare terrain plat, sans caillou, et roulant @Guillaume Lamy
Magie de l'Atlas Quest : au sommet d'un col escarpé, deux berbères proposent du Coca, Fanta, Sprite et Orangina... Choukran bezaf ! @Guillaume Lamy

La montagne vous avale

105 kilomètres et un petit peu plus de 8 000 mètres de dénivelé positif, sur le papier, on avait vu plus costaud. La difficulté était dans l'altitude. Avec des cotes rarement traversées par les sentiers européens, autour de 2 400 mètres en moyenne et un point culminant à 3 685 mètres, la course peut probablement accrocher le titre d'ultra le plus haut du continent. 

"C'est quelque chose cette course" échappait d'ailleurs le taiseux Lambert Santelli, après être venu à bout du monstre, le premier. Le Corse n'est pourtant pas un bizut, détenant le record de vitesse du GR20, une diagonale qui fout les jetons tant le terrain est technique et rugueux.

16h47 pour triompher du relief. Quand les premiers de l'UTMB (171 km - 10 000 D+) mettent un peu moins de 19h. Comparaison n'est pas raison. Les 2 600 mètres de l'Atlas ne sont pas les mêmes que le 2 600 mètres des Alpes. Aller vite s'avère très rapidement compliqué. L'air est sec. Tout, ici, n'est qu'éboulis, blocs de roches, cailloux en pagaille. Comme un jeu de Mikado, les pierres ayant remplacé les baguettes.

Ici, on appartient à la montagne, qui vous avale. Quand on se glisse dans la nuit, le ciel devient un berger. Malgré l'immensité de l'ignoré, aucune peur. Mais une enveloppe confortante. Les quelques habitants croisés dans les villages funambulesques, se mélangeant à la montagne, sourient, encouragent, montrent du doigt la direction à prendre. On ressent la fierté d'un peuple réfugié dans les montagnes pour fuir les invasions arabes, dans les années 700 après J.-C.

Si la nuit est belle, l'aube est une bénédiction, un bain biotique de photons, dont s'abreuve chaque cellule du corps.

Priam sur les remparts de Troie dans "L'Iliade"* eut ces mots : "Tout ce qui se dévoile est beau". Des crêtes du Haut-Altas aussi.

*(Sylvain Tesson, "Un été avec Homère)


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