ENTRETIEN – Après trois mois de révolution en Ukraine, un gouvernement provisoire a été présenté mercredi 26 février à la foule de Maïdan. Ihor Kohut, directeur de l’Ecole des études politiques de Kiev, revient pour Lyon Capitale sur les enjeux politiques de cette crise, et le rôle essentiel de la société civile dans l’Ukraine de demain.
De notre envoyé spécial à Kiev (Ukraine).
Lyon Capitale : Comment peut-on qualifier ces trois derniers mois en Ukraine ? Peut-on parler de “révolution” ?
Ihor Kohut : Nous avons un sentiment, un comportement, révolutionnaire. Mais la révolution arrivera si le Gouvernement refonde le système. Il ne s’agit pas seulement de changer les visages, mais de transformer un système de gouvernance. La corruption ne doit plus être un facteur de prise de décision politique. Le niveau de corruption doit être combattu. Bien sûr, c’est très difficile… La corruption est partout en Ukraine ! Mais nous avons ce nouveau facteur Maïdan. Il est nécessaire que Maïdan maintienne des positions dures et effectue une pression, un contrôle sur le Parlement. Notamment pour superviser l’usage des futurs fonds de l’Union européenne.
Vous parlez de corruption. Depuis le début de la semaine, le Parlement s’est lancé dans un grand processus de “lustration”. C’est un mot très fort, qui fait référence à la chasse aux collaborateurs communistes après l’ère soviétique…
Mais c’est la révolution… Rappelez-vous la révolution française ! Nous sommes en position de parler de lustration dans le système judiciaire. Des personnes innocentes pourront souffrir, mais, dans la majorité des cas, nous allons punir des juges et des procureurs corrompus. Le vrai problème de l’Ukraine, maintenant, c’est que nous allons adopter une nouvelle Constitution, de nouvelles lois, mais ça pourrait être juste du papier. C’est pourquoi la présence de Maïdan est si importante, que l’idée de Maïdan soit partout. Nous avons 100 personnes tuées dans la rue, c’est un argument moral très important pour que les gens combattent la corruption.
Au moins, pour l’année prochaine, nous avons trois ou quatre étapes de cette révolution : l’établissement d’un nouveau gouvernement, la réforme de la Constitution, des élections présidentielles et une possible réélection du Parlement. Je suis modérément optimiste. Ce n’est pas une victoire, c’est juste une nouvelle chance pour l’Ukraine. Si nous allons utiliser cette chance ou non, ça dépend de beaucoup des acteurs, de la société civile, de la transparence des politiciens, des oligarques.
“Ce qu’il est nécessaire de réformer, c’est le financement des partis politiques. Si vous avez un fonctionnement transparent des partis politiques, c’est déjà 70 % du chemin”
Est-ce la naissance d’une société civile en Ukraine ?
J’espère, car, à chaque fois, nous parlons de cette “naissance”. Au moment de la Révolution orange, nous espérions cette création de la société civile, mais elle n’a pas eu lieu. Nous pensions que la démocratie passait juste par des élections. Nous n’avons pas exercé assez de pression, de contrôle sur les élections. Aujourd’hui, nous avons plus de conditions. Mais la question, c’est de savoir si Maïdan peut prendre part au processus politique. Sur Maïdan, nous observons plusieurs projets politiques, mais participeront-ils à des élections ou non ? Est-ce qu’ils auront une pression sur les partis politiques ? Est-ce qu’ils seront capables d’avoir une influence sur la réforme de la Constitution ?
Car ce qu’il est nécessaire de réformer, c’est le financement des partis politiques. Si vous avez un fonctionnement transparent des partis politiques, c’est déjà 70 % du chemin. Il faut comprendre que les gens resteront sur Maïdan tant qu’ils n’auront pas vu des résultats positifs. Les gens parlent de contrôle continu, pas seulement pendant les élections.
Des visages de la société civile peuvent-ils émerger de cette révolution ?
Nous n’avons pas d’ascenseur social pour que des jeunes arrivent en politique. Les indépendants qui sont capables d’émerger sont marginaux. Les leaders des partis politiques traditionnels ne sont pas prêts à proposer des postes à de nouvelles personnalités. C’est comme une famille, et ça prendra du temps de la détruire. Mais une figure de Maïdan pourrait arriver très vite, ça pourrait être inattendu. Il y a les plus radicaux, comme Secteur droit, mais il y a aussi des modérés comme l’Alliance démocratique, Le Pouvoir au peuple, autant de groupes établis pour plusieurs projets politiques.
L’Union européenne a promis une aide financière, mais elle ne semble pas encore prête à ouvrir des négociations pour l’adhésion. Les Ukrainiens peuvent-ils encore rêver d’Europe ?
Ça dépend de l’action du Gouvernement et de qui gagne l’élection présidentielle, mais, dans 5, 6 ans, nous devrions être en bonne condition pour rejoindre l’Union européenne. Au moins, il y a des déclarations maintenant, ce qui n’était pas possible trois mois auparavant. Le nouveau gouvernement peut attendre des aides financières pour stabiliser la situation. L’Ukraine est face à une faillite. C’est pourquoi une aide de l’Union européenne est si importante. Spécialement dans les prochains mois, quand la Russie essayera de changer les conditions pour les prix du gaz.