L’Ukraine a vécu ce week-end un ouragan politique. Le pays est rentré dans une ère post-Ianoukovitch, qui a fui à l’est du pays. Avant des élections anticipées en mai, un nouveau gouvernement d’union nationale doit être formé avant mardi. Mais dans les rues de la capitale, les Ukrainiens sont toujours plusieurs dizaines de milliers derrière les barricades. Sur Maïdan, la place de l’Indépendance de Kiev, le peuple n’a pas encore renoncé à la rue. Reportage.
De notre envoyé spécial à Kiev (Ukraine).
"Beaucoup de nos frères ont été tués. Ianoukovitch est leur assassin. Nous réclamons vengeance et nous resterons jusqu'à la fin. Jusqu'à ce qu'il soit jugé." Assis autour d'un feu crépitant près de la statue de l'Indépendance de Maïdan, Sidor a les traits tirés et le visage noirci. Mais un sourire se dessine, franchement, sur son visage. Cet ouvrier en bâtiment de 28 ans est arrivé de Poltava, ville située dans l'est du pays, il y a un mois, "pour s'occuper de Ianoukovitch", dit-il. Mission accomplie : destitué par le Parlement ce week-end, le président ukrainien a fuit à l'est, devenant l'homme le plus recherché du pays. Déterminé à rester derrière les barricades, Sidor rêve maintenant d'Europe, et de démocratie.
Maksim a 20 ans. Il est originaire de Lviv, dans l'ouest du pays. En treillis militaire, il a combattu jeudi 20 février sous les balles de snipers, qui ont fait officiellement 82 morts. "Tout a commencé par le mouvement pour l'Europe, mais c'était un mouvement pacifique qui n'aboutissait à rien. Il a fallu radicaliser le mouvement pour se débarrasser de Ianoukovitch, explique le jeune homme. Car la réponse à la question principale, pourquoi les gens sont sur Maïdan, c'est révolutionner le système."
“Ianoukovitch ou Timochenko, c’est très semblable”
Comme Maksim et Sidor, ils sont encore des dizaines de milliers à occuper le centre-ville de la capitale. L'appel à la formation d'un nouveau gouvernement d'union nationale avant mardi n'a pas suffi. La libération samedi soir de l'opposante historique, Ioulia Timochenko, non plus. Pour beaucoup de manifestants, les tresses blondes de l'égérie de la Révolution orange représentent une Ukraine du passé, politicienne, corrompue.
Oleg est originaire de Luhansk, à la frontière russe. Las des hommes politiques ukrainiens, il vante les idées du Secteur droit, un parti d'extrême droite très actif dans cette révolution ukrainienne. "Je soutiens l'opinion du Secteur droit, qui dit que Ioulia Timochenko doit rester encore cinq ans en prison. Nous n'avons pas besoin de politiciens démagogues. Ianoukovitch ou Timochenko, c'est très sembable", explique cet ingénieur en aéronautique de 51 ans.
“Ces jours sont historiques, mais nous n’allons pas
encore faire la fête”
Tarass est assistant social. Il s'est réuni avec des amis dans le quartier présidentiel, occupé depuis ce week-end par les manifestants. "Je veux voir de nouveaux visages et Timochenko fait partie du cirque. On veut supprimer le mauvais karma sur nos présidents ici en Ukraine", sourit-il. Avant d'ajouter : "Nous, les Ukrainiens, nous voulons vivre dans un endroit commun avec l'Europe." Un avis partagé par Daryna, 28 ans, qui se réchauffe avec un café, près du Parlement. "Pour que les gens quittent Maïdan, il faudra respecter les conditions des manifestants. Nous voulons des élections présidentielles, des élections parlementaires et des garanties sur l'entrée dans l'Union européenne", explique la jeune femme.
Dans la cour de la cathédrale Mikhailovsky Zlatoverkhy, transformée en camp de fortune, les activistes collectent des vêtements, de la nourriture, qu'ils redistribuent. Avec un grand sourire, ils se félicitent de la sortie de crise, mais une jeune fille en bonnet rouge prévient : "Ces jours sont historiques, mais nous n'allons pas encore faire la fête. Nous espérons que la situation va changer, car nous avons payé pour !"