Crash du MH17, invitation de Poutine au G20, exactions et “dommages collatéraux” sur le terrain, récentes élections législatives... Mykola Cuzin, président du comité Ukraine 33 et du Comité pour la défense de la démocratie en Ukraine, fait le point sur la situation en Ukraine dans cette nouvelle tribune adressée à Lyon Capitale.
Alors que les services secrets allemands viennent (enfin !) de mettre en lumière la responsabilité directe des terroristes de la région de Donetsk dans l’explosion du vol MH17 des Malaysia Airlines le 17 juillet dernier (1), le moins que l’on puisse dire c’est que les affaires vont bon train à Moscou en ce moment.
Il y a quelques jours, une nouvelle est passée quasiment inaperçue dans le flot continu des informations : le Premier ministre australien a confirmé que Vladimir Poutine était “bien évidement invité” et qu’il participerait au 9e sommet du G20 à Brisbane, les 15 et 16 novembre prochains. Il n’aura échappé à personne que, parmi les victimes du vol MH17, figuraient 27 ressortissants australiens…
Ce début de semaine, c’est la mort tragique du PDG de Total, Christophe de Margerie, sur le tarmac de l’aéroport moscovite de Vnoukovo qui nous a rappelé combien pouvait être ténue la marge de manœuvre de l’État français dans un contexte international où – est-il utile de le rappeler ? – des sanctions économiques sans précédent ont été prises par les Occidentaux contre les intérêts économiques russes en raison de l’implication croissante du Kremlin dans les graves troubles survenus en Ukraine orientale ces derniers mois (2). La nature a sans doute horreur du vide (économique), mais faut-il pour autant occulter aussi rapidement le facteur humain ?
Sur le front, en Ukraine orientale, rien n’a changé depuis l’offensive menée par les terroristes fin août, aidés par plusieurs milliers de soldats russes. Le cessez-le-feu négocié à Minsk le 5 septembre n’aura pas tenu plus de quelques heures, tant les responsables des républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk avaient à cœur de démontrer qu’ils ne respectaient rien ni personne. Ils ont depuis lors continué à faire ce que font les terroristes : pillages des richesses économiques (commerces, banques, mines…), extorsions de fonds et kidnappings crapuleux, actes de torture, utilisation de boucliers humains, viols, mutilations de prisonniers, exécutions sommaires, persécutions contre les chrétiens ne reconnaissant pas le patriarcat de Moscou…
Entre Louhansk et Donetsk, en plus des éléments restants de l’armée russe, une douzaine de factions se disputent le pouvoir et les richesses : pêle-mêle, plusieurs bataillons de “pseudo-cosaques” venus de Russie, des “volontaires” tchétchènes, ingouches ou serbes, des repris de justice… L’anarchie le dispute à l’arbitraire. Certains groupes terroristes se battent même entre eux pour imposer leur “loi” aux autres.
Les dommages “collatéraux” sur les habitations et les résidents se multiplient. Malgré les nombreux “convois humanitaires” envoyés par Moscou (sans aucun contrôle extérieur), les conditions matérielles des locaux empirent chaque jour qui passe. Il faut dire que ces convois ont surtout acheminé des armes et des munitions en grandes quantités, que les différentes factions se livrent à un trafic honteux avec les denrées alimentaires censées subvenir aux personnes nécessiteuses et que, dans bien des cas, les camions et les wagons sont repartis d’Ukraine chargés de matériel pillé sur place ou de matières premières volées, comme le charbon…
La mauvaise saison arrivant, les gens sont de plus en plus nombreux à montrer leur mécontentement face aux promesses non tenues, aux salaires et pensions jamais versés, aux exactions commises contre les civils. Plusieurs manifestations ont été réprimées dans le sang. À Louhansk, des milices sont mêmes en train de se constituer pour tenter de protéger les habitants contre les éléments incontrôlés de la LNR, qui se rendent fréquemment coupables de violences gratuites.
Près de Louhansk, les forces gouvernementales ont libéré ces derniers jours la bourgade de Novoajdarsk. Le constat était terrible : maladies, malnutrition… Qu’adviendra-t-il de ces dizaines de milliers de personnes encore soumises au bon vouloir des soudards de la DNR et de la LNR, en plein cœur de l’hiver, alors que Moscou accentue encore et encore son chantage énergétique sur l’Ukraine ?
Outre un laboratoire “social” digne des heures les plus sombres du Goulag, l’Ukraine orientale semble être devenue un immense terrain de jeu militaire pour Poutine : les mois d’intimidations à la frontière puis l’invasion massive du Donbass fin août ont permis aux unités russes de réaliser grandeur nature et à balles réelles des exercices de déploiement qu’elles n’auraient jamais pu mener à bien dans un laps de temps aussi court en temps de paix. Les dénégations de plus en plus risibles du maître du Kremlin n’arrivent plus à dissimuler un bilan éloquent (3) : depuis le début de leur entrée officieuse en Ukraine dans le courant de l’été, les militaires russes ont déploré la perte de près de 4 500 soldats. Ils appartenaient à une trentaine d’unités différentes identifiées provenant aussi bien de Pskov, Novossibirsk, Mourmansk, Tcheliabinsk, Moscou que de la Tchétchénie, de l’Ossétie ou de la péninsule de Kola, et représentaient toutes les armes (génie, renseignement, blindés, artillerie, snipers…), ce qui est le signe indubitable d’un engagement à très grande échelle de la Russie. De plus en plus de mères russes rapportent auprès du très respecté Comité des mères de soldats la disparition de leurs fils ou la réception à la sauvette de cercueils plombés (4)…
Tout l’assortiment des armes modernes détenues par la Russie a largement été testé en Ukraine. Les armes à sous-munitions, interdites par la convention d’Oslo de 2008 ont également été employées, notamment dans la région de Donetsk. Les terroristes ont dans un premier temps essayé d’en imputer la responsabilité aux soldats ukrainiens, mais les numéros de série et les codes des fabricants retrouvés sur des munitions non explosées, analysées par les enquêteurs de l’OSCE, ont clairement désigné la Russie. Cette dernière, en contradiction avec les accords de Minsk, a d’ailleurs refusé de laisser les observateurs de l’OSCE surveiller la frontière russo-ukrainienne. Malgré les renforts récents d’observateurs, l’OSCE est encore loin de pouvoir mener à bien sa mission correctement, puisqu’elle ne couvre pour l’instant qu’environ 1 % du territoire contrôlé par les terroristes. Les drones qu’elle prévoit de lancer très bientôt changeront peut-être la donne.
En attendant, les élections législatives qui se sont tenues ce dimanche dans la majeure partie de l’Ukraine (6) ont constitué un test politique plutôt pour le pouvoir en place et surtout un challenge sécuritaire immense pour toute la population. Des cellules de renseignement et de terroristes envoyées par Moscou ont été démantelées en grand nombre ces derniers jours. On a dénombré “quelques” provocations et des intimidations de comités électoraux. La routine… Mais, à voir l’émotion qui a saisi – et c’est compréhensible – le monde entier lors de l’attaque terroriste menée dans l’enceinte du Parlement d’Ottawa, on peut légitimement se demander si l’Onu et l’UE vont enfin en finir avec leur politique de déni et accepter de voir la réalité en face, à savoir que Vladimir Poutine mène actuellement une politique terroriste d’État en Ukraine orientale et appelle de ce fait une réaction autrement plus conséquente que les vagues sanctions économiques adoptées jusqu’ici.
L’écrivain russe Mikhaïl Chichkine (7), basé à Zurich, titrait fort justement son dernier article dans Le Temps du 15 octobre 2014 : “Nous sommes dans une Europe d’avant-guerre et nous ne le savons pas”. Pour lui, l’Europe fonce actuellement droit dans le mur avec sa diplomatie totalement inadaptée et frileuse. Les Ukrainiens sont pour l’heure le premier et le seul rempart érigé contre les ambitions meurtrières du fils spirituel de Staline. Les seuls à payer le prix du sang et des larmes (8). Pour combien de temps encore ?