Depuis quelques jours, les diocèses de Lyon, Grenoble et Saint-Étienne sont confrontés à ce qui pourrait devenir une très importante affaire d’abus sexuels dans l’Église en France. Ce mercredi 19 janvier, l’archevêque de Lyon a confié que de "très nombreuses victimes" pourraient avoir été abusées par le père Louis Ribes dans les années 60-70. Lyon Capitale fait le point sur ce que l’on sait à ce jour.
Pas encore totalement remises de l’affaire Preynat, qui avait fait vaciller le diocèse de Lyon à partir de janvier 2016, les autorités cléricales lyonnaises, qui ont depuis changé de direction avec l’arrivée de Monseigneur de Germay, doivent de nouveau faire face à une affaire de pédophilie. La semaine dernière les diocèses de Lyon, Saint-Étienne et Grenoble ont ainsi dévoilé que le père Louis Ribes, un prêtre décédé en 1994, faisait l’objet de plusieurs accusations pour des faits d’agressions sexuelles sur mineurs, aujourd’hui prescrits, commis "dans les années 1960, 70, et peut-être au-delà", selon Mgr de Germay.
Des victimes "certainement très nombreuses"
Ces révélations faites par voie de communiqué sur les sites internet des diocèses s’étaient accompagnées d’un appel à victime, afin de libérer la parole des personnes qui auraient pu être abusées par l’ecclésiastique originaire de Grammond, dans la Loire, et qui a exercé dans les diocèses de Lyon et Grenoble. En une semaine, il semble déjà que l’appel à témoin ait "porté ses fruits puisque nous avons reçu depuis plusieurs témoignages", a expliqué le responsable de l’église lyonnaise devant la presse ce mercredi 19 janvier.
"Des rumeurs existaient, mais c'était la culture de l’époque, on ne parlait pas de ces choses là et cela n’est pas remonté au niveau de la hiérarchie", Mgr de Germay, archevêque de Lyon
Pour l’heure, il serait difficile d’estimer le nombre précis de victimes, mais à entendre Mgr de Germay "les chiffres évoluent de jour en jour", alors que pas plus tard que mardi 18 janvier, lors d’une réunion publique organisée à Grammond, une douzaine de personnes se sont déclarées victimes. "Tout cela nous laisse penser que les victimes du père Louis Ribes sont, malheureusement, certainement très nombreuses", déplore l’archevêque de Lyon, qui voit tout de même du "positif au cœur de ce drame" du fait que "de plus en plus de personnes arrivent à parler".
Une première plainte déposée à Grenoble en 2016
Interrogé à de multiples reprises sur la date des premières plaintes enregistrées par le diocèse, Mgr Olivier de Germay a assuré que lors de sa prise de fonction en décembre 2020, le nom du père Ribes "ne figurait pas dans les affaires en cours". Selon lui, le premier témoignage aurait été apporté "à l’été 2021" par "la fille d’une victime", avant qu’un autre ne suive "en novembre". Lors de son discours devant la presse, le responsable du diocèse a toutefois reconnu que si parmi les prêtres et les familles "certains n’avaient absolument rien vu", "d’autres avaient senti des choses. […] Des rumeurs existaient, mais c'était la culture de l’époque, on ne parlait pas de ces choses là et cela n’est pas remonté au niveau de la hiérarchie".
Dès 2016, un signalement avait pourtant été effectué au diocèse de Grenoble par la fille d’une victime, avant que celui-ci ne questionne le diocèse de Lyon en quête d’éléments, mais "nous n’avions rien dans son dossier", soutien Mgr de Germay. Même réponse en 2020 lors d’une interrogation de la Ciase cette fois, la commission d’enquête sur les abus sexuels dans l’église.
Ces deux questionnements n’ont toutefois pas poussé le diocèse de Lyon à creuser autour du passé du père Ribes avant l’été 2021 et la réception d'un premier témoignage. "Je pense qu’il faut que l’on soit plus proactif. Après nous ne sommes pas non plus des enquêteurs, mais on travail de plus en plus en lien avec la justice civile, c’est ça qui a changé" fait valoir le responsable du clergé local. S’il reconnaît encore "un manque de coordination" entre les diocèses, il veut tirer un enseignement de cette crise : "à chaque fois qu’il y a un cas qui concerne plusieurs diocèses, il faut que l’on soit de façon très régulière en lien avec les autres".
"Je suis personnellement atterré par la perversité de ce prêtre qui a abusé de l'innocence de tant d'enfants et profondément bouleversé par la souffrance de ces victimes", Mgr de Germay, archevêque de Lyon
Des réunions publiques pour libérer la parole
Dans les jours, semaines et mois qui viennent, le diocèse de Lyon se dit prêt à organiser des réunions publiques dans les différents lieux où le père Ribes a exercé de son vivant. "Je pense qu’il faudra le faire, c’est un peu un électrochoc, un choc supplémentaire pour tous et donc a besoin de lieux de paroles pour les victimes, mais aussi pour la communauté", explique-t-il.
Des moments qui devraient notamment permettre de libérer la parole autour des actes dont est accusé le prêtre et artiste-peintre Louis Ribes. Dans cette affaire, son talent pour les arts apparaît d’ores et déjà comme un élément essentiel. Artiste reconnu, le père Ribes serait à l’origine de près de 70 oeuvres dans le diocèse de Lyon, dont "18 appartiennent au diocèse" et se trouvent pour "la plupart dans des églises", selon Mgr de Germay.
Les oeuvres du père Ribes décrochées des églises
C’est là que se situe l’autre volet de cette affaire d’abus sexuels. Parmi les vitraux, fresques, peintures réalisées par le prêtre, "certaines oeuvres ont été inspirées par des enfants qu’il faisait poser nu pour les peindre", a confirmé Mgr de Germay. Avant de se dire "personnellement atterré par la perversité de ce prêtre qui a abusé de l'innocence de tant d'enfants et profondément bouleversé par la souffrance de ces victimes".
"Certaines personnes victimes nous ont dit que l’exposition publique de ces œuvres était pour elles insupportable. C’est pourquoi nous avons décidé [...] de retirer des églises les œuvres qui nous appartiennent", Mgr de Germay, archevêque de Lyon
À la demande de certaines d'entre-elles, le diocèse a donc décidé de décrocher les oeuvres au style coloré et proche du cubisme, dont certaines sont protégées au titre des monuments historiques. "Pour les victimes ce n’est pas supportable de voir ces oeuvres", estime Mgr de Germay, en précisant qu’un chemin de croix situé dans l’église de Pomeys, dans le Rhône, a déjà été retiré. Il sera "remisé dans un « grenier »", car "on n’a pas le droit de détruire des oeuvres d’art", explique l’archevêque de Lyon. Concernant les vitraux des églises, ces derniers appartenant aux communes, c'est aux maires que "revient la décision", mais l'archevêché a émis le voeu qu’ils soient également retirés.
Un accompagnement pour les victimes
Afin d’accompagner la libération de la parole des victimes, une instance indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) sera opérationnelle à partir du mois de février pour les recevoir et les accompagner sur "le chemin de la reconstruction". Celle-ci s’occupera également de la question de la réparation financière qui pourrait leur être apportée, en s’appuyant sur le fonds d’indemnisation national mis en place par l’Église et auquel le diocèse de Lyon a contribué à hauteur de 750 000 euros.
Désormais, pour Mgr de Germay, "la vérité doit être faite pour purger ce qui doit l’être", tout en s’assurant de "donner la priorité aux personnes victimes" et en faisant "en sorte que l’Église ne se dérobe pas à ses responsabilités".