@Antoine Merlet

Une pneumologue à Lyon : "on ne connaît pas, de façon précise, les facteurs prédictifs de la maladie" 

Aline Bajard, pneumologue et référente de la clinique de la Sauvegarde, explique ce qu’est le Covid-19 et ses conséquences pour notre organisme. Entretien.

Lyon Capitale : Qu’est-ce qu’un coronavirus au juste ?

Aline Bajard : C’est une grande famille de virus, dont certains infectent l’homme. Ils peuvent entraîner des infections respiratoires allant du simple rhume à des complications de type pneumonie. Il se fixe principalement aux récepteurs ACE-2 des cellules épithéliales alvéolaires (poumon), de l’iléon et du tube contourné proximal (intestin). Relié aux deux autres coronavirus du XXIe siècle, le SARS-CoV en 2002, puis le MERS-CoV en 2012, la maladie que provoque ce nouveau coronavirus est appelée Covid-19 – “co” pour corona, qui signifie couronne en latin car au microscope on voit de petites protubérances autour de son enveloppe qui forment une sorte de couronne, “vi” pour virus, “d” pour disease et 19 car il a fait son apparition en Chine, à Wuhan, en fin d’année dernière. Il s’agit d’un virus à tropisme pulmonaire qui entraîne des dommages immunologiques et pulmonaires, parfois mortels.

Qu’est-ce qui différencie ce coronavirus de son cousin à l’origine du rhume ?

Les désordres immunologiques créés par ce virus sont très fortement inflammatoires et ce ne sont pas forcément les mêmes que pour la grippe. La grande différence du SARS-CoV-2 avec les autres, c’est son profil relativement bénin et sa contagiosité extrêmement élevée. Il reste encore de très nombreuses inconnues quant à sa physiopathologie – l’étude des troubles survenant dans le fonctionnement des organes lors d’une maladie. Aujourd’hui, même si ce nouveau coronavirus a des bases communes avec les autres, nous n’avons toujours pas de traitement spécifique.

Que se passe-t-il lorsque le coronavirus entre dans le corps ?

Il faut différencier deux phases : la phase virologique et la phase immunopathologique. Lorsqu’une personne contracte le virus, le corps y répond en développant des symptômes – la plupart du temps toux, fièvre, anosmie [perte partielle ou totale de l’odorat, NdlR], problèmes digestifs. C’est, en quelque sorte, une alarme pour dire qu’il y a une attaque. Et la toux et la fièvre, voire les diarrhées quand le système digestif est touché, sont là pour tenter d’expulser le virus du corps. La seconde phase est celle qui arrive en fin de maladie entraînant des formes plus graves, comme le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) qui arrive au bout du cinquième ou sixième jour et peut aboutir au décès du malade. Le SDRA est un dommage diffus des alvéoles, une desquamation des cellules du poumon (les pneumocystes) et une formation de membranes hyalines, compromettant ainsi les échanges gazeux. L’objectif est de pouvoir traiter le patient positif au Covid-19 en tout début de maladie, dans la phase virologique, parce qu’une fois le SDRA activé, c’est extrêmement compliqué.

Est-il exact que le virus ne tue pas en lui-même, directement, mais détériore le système immunitaire ?

Exactement. Ce ne sont pas tant les dommages que les conséquences causées par le virus qui posent problème. Le Covid-19 ne tue pas. En principe, le système immunitaire surcharge les poumons de cellules immunitaires de manière à réparer le tissu pulmonaire abîmé. Avec le Covid-19, on parle ici des formes les plus graves de la maladie, les réponses immunitaires se sont totalement emballées (forte expression de certaines cytokines dans le plasma et hyperinflammation par l’intermédiaire des lymphocytes spécifiques T4H). Cela fait que l’ensemble du système immunitaire, notre garde-corps biologique inné, est hyperactivé avec pour conséquences d’importants dommages. Au niveau de la physiopathologie du poumon, on observe de profonds désordres qui déstructurent complètement les échanges gazeux. Un phénomène inflammatoire majeur s’instaure alors et détruit le fonctionnement normal du poumon. D’où l’apparition du syndrome de détresse respiratoire aiguë qui, comme je l’ai dit, intervient dans un deuxième temps après la contamination.

 

"Les désordres immunologiques créés par ce virus sont très fortement inflammatoires et ce ne sont pas forcément les mêmes que pour la grippe"

 

Pourquoi ce syndrome de détresse respiratoire aiguë se déclenche chez certaines personnes et pas d’autres ?

C’est bien tout le problème de ce coronavirus : on ne parvient pas à connaître, de façon précise, les facteurs prédictifs. Le SARS-CoV-2 se tient aux cellules humaines par l’intermédiaire de récepteurs, qui sont ceux de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2, avec une affinité dix fois plus importante que pour le Sars-CoV. Pour comprendre, en immunologie fondamentale, il existe deux grands types de défense immunitaire : la standard et la spécifique. La standard, ce sont les symptômes bénins (toux, fièvre, etc.). La spécifique intervient dans un second temps, après avoir identifié précisément le virus. Les défenses seront alors spécifiquement adaptées à ce dernier. Ce qui fait qu’une fois qu’on a contracté une maladie, on est en principe immunisé. Mais chez certaines personnes, la réponse immunitaire est prise de vitesse par le virus. Elle n’a pas le temps de se mettre en place. Dans la très grande majorité des cas, il ressort que les problèmes cardiaques, notamment l’hypertension, le diabète sont favorisants (augmentation de l’expression des récepteurs par l’inhibition de l’enzyme de conversion ou les ARA II). L’obésité aussi est un énorme facteur de risques. L’âge enfin est souvent associé à une évolution défavorable. L’objectif est donc de casser cet effet de cascade qui démarre. Quand le problème immunologique débute, il faut à tout prix arrêter l’effet domino pour tenter de reprendre le contrôle du système immunitaire. Une singularité du Covid-19 est que les personnes qui ont les réponses immunitaires les plus abîmées sembleraient développer les réponses immunitaires les plus insensées dans le stade ultérieur de la maladie…

@Antoine Merlet

Que voyez-vous sur les clichés de poumons infectés par le Covid-19 ?

On observe des opacités en verre dépoli qui prédominent en périphérie du poumon et, petit à petit, deviennent condensantes et fusionnent. L’aboutissement fatal, c’est le développement d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Normalement, au scanner, le poumon est “noir”, c’est l’air qui le remplit. Quand une personne développe une forme sévère du Covid-19, les zones blanches se généralisent progressivement puis apparaissent des réticulations, des consolidations (et des dommages irréversibles). Les échanges gazeux vitaux entre l’oxygène et le dioxyde de carbone ne peuvent plus se faire correctement. Le sang ne peut plus se réoxygéner, la barrière d’échange est fortement endommagée. Quand le malade respire, l’air ne rentre plus dans les vaisseaux pour permettre de subvenir aux besoins de l’organisme en oxygène. Lorsque le patient a les poumons trop atteints, il part en réanimation pour être ventilé par des respirateurs artificiels, et placé dans la mesure du possible en décubitus ventral [corps allongé à l’horizontal, NdlR] pour favoriser l’évacuation du mucus et rediriger le sang vers les parties les plus atteintes du poumon.

 

"Lorsque la Chine a commencé à parler du coronavirus, jamais je n’aurais imaginé qu’en mars on serait dans cette situation"

 

En Italie, on voit que les jeunes commencent à développer des formes sévères...

C’est ce que l’on constate ici aussi, à la clinique de la Sauvegarde. Actuellement, la moyenne d’âge en réanimation est de soixante ans, alors qu’au début de l’épidémie, un tiers des patients avaient quatre-vingts ans et plus. Soixante ans, c’est une moyenne, ce qui veut dire qu’on voit des gens d’une quarantaine d’années arriver en urgence dans l’unité Covid positif.

Qu’est-ce que cette “unité Covid positif” que vous avez mise en place ?

On a divisé la clinique de la Sauvegarde en deux tiers/un tiers. Un tiers pour l’activité habituelle, ce sont les urgences, les services de médecine conventionnelle, c’est-à-dire que si vous faites un infarctus ou que vous vous cassez une jambe, vous serez pris en charge. Le reste de la clinique est désormais dédié au Covid-19. C’est exactement la même chose sauf qu’on a une structure d’urgence consacrée aux patients positifs au Covid-19, ou fortement suspectés, amenés par le Samu entre autres. Ensuite, on a le service hospitalisation où les urgentistes spécialisés “Covid” regardent si les critères de gravité nécessitent une hospitalisation ou si le patient peut rentrer chez lui. Dans cette dernière hypothèse, on assure un suivi téléphonique grâce à un service appelé MAELA pour vérifier que le patient évolue bien et que son état ne s’aggrave pas (il serait alors hospitalisé). Lorsque les malades sont dans un état trop grave, ils sont d’emblée conduits en réanimation. Cette unité a ouvert le 21 mars. En cas d’afflux massif de patients, plusieurs dizaines de lits (dont des lits de réanimation) peuvent être réservés au Covid.

Quelle est l’organisation spécifique de cette unité dédiée ?

En réa, on a une charlotte, un masque FFP2, on porte des sur-lunettes, des gants, un sarrot classique [blouse de protection par-dessus les vêtements, NdlR] et un tablier en plastique pour les soins souillants. Le problème, c’est que quand le patient arrive on ne sait pas s’il a le coronavirus. Il peut très bien avoir une sorte de grippe. Par précaution, on part du principe qu’il a le Covid-19 jusqu’à preuve du contraire, en attendant les résultats des prélèvements et on se protège. Le souci est que la PCR Covid comporte des faux négatifs à hauteur de 30 %. Nous couplons donc cet examen biologique par un scanner thoracique, car les lésions du Covid sont très spécifiques.

Quelles sont les statistiques de létalité observées dans l’unité Covid positif de la Sauvegarde ?


On rejoint les statistiques nationales, aux alentours de 3 à 4 %.

Un patient qui a été hospitalisé après avoir contracté le Covid-19 et qui s’en sort aura-t-il des séquelles ?

Le Covid-19 endommage le tissu pulmonaire. Il s’agit d’une inflammation majeure du poumon. On peut donc effectivement avoir des cicatrices et des dégâts à long terme. La fibrose qui en résulte peut provoquer des insuffisances respiratoires. On n’a pas encore beaucoup de recul mais on peut imaginer qu’un patient qui a des dommages avec un verre dépoli diffus, des opacités condensantes dans le poumon, ne s’en sortira pas indemne après sa sortie d’hospitalisation.

Quel regard portez-vous sur ce Covid-19 en tant que pneumologue ?

Lorsque la Chine a commencé à parler du coronavirus, jamais je n’aurais imaginé qu’en mars on serait dans cette situation. Jamais. C’était imprévisible, c’est ce qui me désarçonne. Quand on voit qu’un virus met la planète entière à zéro, ça fait froid dans le dos. Un tiers de la population mondiale confinée, c’est du jamais vu. On a eu par le passé le choléra, la peste, la grippe espagnole. Une fois par siècle, il y a quelque chose qui se passe, et on est à chaque fois pris de court. C’est peut-être un signal de la planète qui nous dit “stop”. Les virus évoluent avec la société.

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