Sur Internet, "iboycott" permet depuis cet été à des associations de lancer des campagnes pour inciter les entreprises et les multinationales indélicates à changer leurs pratiques face à des "consom'acteurs" qui s'engagent à refuser l'achat de leurs produits. Ce samedi soir, la possibilité de créer une campagne de boycott a été donné à tout un chacun lors d'une soirée de lancement.
Si les 2000 mètres carrés du centre Etic Hévéa du 7 ème arrondissement de Lyon ne sont pas encore tout à fait praticables, une ambiance de révolution tranquille et connectée règne déjà dans le bâtiment qui, depuis un mois, accueille une trentaine "d'entrepreneurs sociaux". Ce samedi soir, ils sont une quarantaine a assister à la soirée d'ouverture de la plateforme "iboycott" à "tous les citoyens". Depuis sa mise en ligne, le site revendique 55 000 "consom'acteurs" et mène actuellement 12 campagnes de boycott. Face à l'assistance, les deux frères à l'origine du concept, Levent et Bulent Acar, explique avoir été "révoltés par les révélations d'émissions comme Cash Investigation ou Envoyé Spécial". Suffisamment pour se donner comme objectif de "démocratiser le boycott bienveillant et d'organiser un contre-pouvoir grâce aux réseaux sociaux".
Munis de slide détaillés sur l'histoire et les objectifs de leur association dont le modèle économique s'appuie sur "les dons", c'est dans une ambiance détendue qu'ils appellent à "court-circuiter les lobbys et les décideurs". "Quand les lobbys font pression sur les institutions décisionnaires, le citoyen n'a pas la parole. Le boycott est un outil complémentaire aux pétitions, qui ont plutôt vocation à sensibiliser les politiques. Avec i-boycott, un dialogue est engagé directement avec les entreprises pour les inciter à prendre en compte les considérations éthiques réclamées par les consom'acteurs. Si l'entreprise répond et s'engage à changer ses pratiques, les boycottants lèvent leur campagne" précise Levent Acar, l’aîné de la fratrie. Sur les 12 campagnes actuellement menées sur le site, cinq dialogues se sont construits, "dont un qui s'est avéré victorieux", poursuit-il. "L'association Vida a mené une campagne contre Oasis, qui sponsorisait le cirque Pinder alors que ce cirque exploite des animaux sauvages. Orangina Schweppes France a arrêté le sponsoring et a retiré le logo du cirque Pinder, les internautes ont donc ensuite décidé à 88 % de lever le boycott".
"Beaucoup de David et peu de Goliath"
Pour l'ouverture de la plate forme aux internautes et plus seulement aux associations, l'équipe de iboycott, composée de nombreux bénévoles, a souhaité s'entourer de plusieurs invités. Parmi eux, Stéphanie Gibaud, lanceuse d'alerte sur le système d'évasion fiscale pratiqué par la banque UBS. Actuellement, l'une des campagnes du site vise les cafés Starbucks pour ne pas avoir payé d'impôts en France depuis 2004, un sujet qui parle particulièrement à l'ex-responsable marketing d'UBS. "Quand j'ai lancé l'alerte, si UBS avait été boycotté, notamment par des Suisses, cela aurait peut-être aidé. Nous sommes le nombre, et si tous les suisses retirent leur compte de chez UBS, il y a un vrai problème sismique. Nous pouvons faire sans eux, mais ils ne peuvent pas faire sans nous" a -t-elle répétée en plusieurs langues face à la caméra chargée de transmettre l’événement en direct sur les réseaux sociaux. "Boycottons tout ceux qui nous ont pris en otage" lance-t-elle sous les applaudissements de la salle.
Son intervention est suivie par celle de Stéphane Sacquépée, référent Rhône de l'association anti-corruption Anticor, qui semble lui aussi séduit par l'initiative. "Ce qui va changer avec ce type de pratiques, c'est la culture de nos concitoyens, car si la dynamique de vouloir changer le monde s'apparente au combat de David contre Goliath, il y a finalement beaucoup de David et peu de Goliath" a-t-il notamment souligné avant de laisser la parole à Philippe Pascot. Cet ancien maire-adjoint d'Evry, qui milite ardemment pour instaurer plus d'éthique chez les politiques, n'a pas "envie de voir un monde basé sur le profit" et considère que les citoyens sont de plus en plus "entraînés et manipulés pour être dociles". "Le but est que nous consommions et que nous votions sans comprendre. Comme le fait i-boycott, il ne s'agit pas de braquer, mais d'utiliser le système pour mieux le renverser."
Un premier boycott citoyen lancé contre Auchan
Pour l'occasion, la première personne à se lancer dans une "campagne citoyenne" est Franck Busset, humoriste sur Youtube. Elle vise le management de l'entreprise Auchan, en particulier celui pratiqué au Auchan City de Tourcoing, pointé du doigt par les médias pour avoir licenciée une caissière pour une erreur de caisse de 85 centimes et pour avoir pénalisé d'une semaine de salaire "Fadila", victime d'une fausse couche sur son lieu de travail. La campagne demande notamment la reconnaissance du préjudice subit par cette dernière, des changements dans l'encadrement ou des embauches en CDI à temps complet pour faire face à la charge de travail excessive. Une fois la campagne créée, une période "d'incubation" de dix jours permet au reste de la communauté de noter le titre, l'image, les revendications et les sources de la campagne. Le créateur de la campagne reprend ensuite la main et doit prendre en compte un minimum de 15 avis avant que la campagne ne soit réellement lancée. Si le pallier des 1000 boycottants est atteint en un mois, la campagne est envoyée à l'entreprise.
"Ces mesures nous permettent d'éviter qu'un boycott soit organisé contre le boulanger du coin parce que quelqu'un a vu un rat dans sa boutique" indique Levent Acar, qui considère que iboycott n'est pas utile qu'aux consommateurs, mais aussi aux entreprises visées "c'est une mine d'or pour les entreprises pour savoir comment leur communication de crise fonctionne. Mais si l'entreprise ment, une nouvelle campagne pourra être créée et ce sera ensuite beaucoup plus difficile pour elle de convaincre". Si chacun peut désormais créer une campagne de boycott à travers son écran, c'est aussi après s'être engagé à éviter le dénigrement, la diffamation ou la discrimination. Et pour s'assurer de cela, les entrepreneurs misent sur "l'intelligence collective" mise en place par la période d'incubation et la nécessité d'atteindre un pallier de 1000 personnes en un temps donné. Le processus semble bien huilé, il ne demande désormais qu'à faire ses preuves.