Hier était ouverte la treizième édition de Et si on en parlait, organisée par l'université de Lyon. Un débat qui a posé la question du rôle des frontières dans les crises migratoires. Animé par le rédacteur en chef de Lyon Capitale, un débat était organisé avec Yvan Gastaut, spécialiste de l'histoire contemporaine et de l'immigration.
L'université de Lyon lançait hier soir son festival "Et si on en parlait". Des débats, des rencontres, des tables rondes, mais aussi des ateliers, des spectacles ou des balades urbaines pour répondre au thème choisi cette année : Migration(s), Hommes et cultures en mouvement. L'événement a été ouvert par une exposition et un débat tenus à l'université de Lyon. L'Histoire et l'actualité des frontières ont été questionnées, pour tenter d'éclairer les flux migratoires que connaît actuellement l'Europe.
Les frontières, enjeu historique de la migration
Dans le hall, dix-sept panneaux tendus pour les yeux des visiteurs désireux de relire l'Histoire des frontières à travers le monde. Cette exposition itinérante a été prêtée par le Musée National de l'Histoire de l'Immigration, qui depuis 2012, propose cette exposition au cœur de l'actualité. Au moment de sa confection, l'exposition laissait dubitatif. Mikaël Petitjean, chargé de mission Réseau et Partenariat au Musée de l'Immigration raconte la confection de l'exposition : "Quand on a présenté le projet, beaucoup pensaient que les frontières n'étaient pas un sujet qui pouvait intéresser. Aujourd'hui, on a même une exposition itinérante pour pouvoir intervenir dans des lycées ou des universités !" De la grande muraille de Chine jusqu'au Brexit, l'exposition décompose et recompose les temps forts de la migration et des frontières. "L'Histoire enseigne que les vagues migratoires, souvent représentées comme des crises temporaires, se succèdent les unes aux autres de manière quasi-continue. […] Si la nécessité de contrôles renforcés et efficaces aux frontières ne fait aucun doute, la poursuite de l'arrivée de migrants en Europe est certaine" peut-on lire sur le dernier panneau.
Les frontières, quels effets et quels buts ?
Yvan Gastaut, maître de conférence spécialiste de l'histoire contemporaine et de l'immigration à l'université de Nice Sofia Antipolis, a tenté d'éclairer sur les enjeux des frontières dans le monde d'aujourd'hui. Historiquement, les frontières sont là pour empêcher qu'on entre dans un territoire, "mais elles peuvent aussi empêcher qu'on en sorte !" poursuit Yvan Gastaut. Elles définissent un territoire et elles rassurent un peuple, le font rêver. L'historien précise : "Il y a le fantasme, l'exotisme que dégage l'étranger. Mais il y a aussi la peur, les a priori négatifs. C'est pour ça qu'aujourd'hui certains regrettent les frontières internes de l'Europe alors que d'autres s'en réjouissent."
Le mur, barrière étanche ou rassurante ?
A travers l'histoire, Yvan Gastaut raconte les murs, frontières physiques. La grande muraille de Chine ou encore le mur d'Hadrien sont des barrières qui séparent "le nous" du "eux", ce sont des constructions érigées pour "frapper les esprits". Il évoque le mur qui sépare le Mexique des États-Unis, qui est plus une chimère pour "satisfaire les esprits" qu'une véritable frontière étanche. "Ça coût cher de garder une frontière, explique l'universitaire, il faut des douaniers, des dispositifs de sécurité pointus", alors que les migrants contournent. "C'est dans les gênes du migrant de contourner" raconte Yvan Gastaut qui poursuit : "Les murs semblent être la solution moderne, mais ça prouve surtout notre incapacité à penser l'immigration." Selon lui, les murs physiques fonctionnent un temps, avant de tomber en désuétude, ou d'être contournés.
Libre échange, libre circulation et frontières : une incompatibilité ?
Les sociétés sont numérisées, internet fluidifie la circulation des informations, le commerce s'étend sur l'ensemble du monde, et pourtant, les barrières subsistent. "Ça relève de l'absurdité : on est dans un monde ultra connecté, avec des frontières, s'interroge l'historien, les frontières s'effacent pour certaines choses, mais difficilement pour certains hommes." Et pourtant lorsqu'ils consultent les archives, il ne peut que constater que tous les peuples sont des migrants : "De tous temps les hommes ont bougé. On pense qu'au Moyen-Âge les populations étaient sédentaires, mais c'est faux. Les Auvergnats qui sont montés à Paris sont aussi des migrants !"
Des frontières pour essentialiser un peuple ?
Yvan Gastaut relève que depuis toujours l'Homme cherche à définir des frontières, pour son empire, pour son territoire, pour asseoir son pouvoir. Il poursuit en se demandant comment être certain de leur légitimité : "Est ce que la frontière c'est une montagne, une rivière, ou bien est ce que c'est la langue qui définit un territoire, est ce que c'est l'irrédentisme ?" En prenant l'exemple de la Russie qui a annexé la Crimée, l'historien pose la question de la date : "Quel moment de l'Histoire choisir pour définir une frontière ?", relevant le caractère hybride de certaines limites. "On sait que les populations qui vivent aux frontières d'un territoire se sentent parfois deux nationalités. Ils éprouvent directement les frontières, et prouvent qu'elles ne sont pas complètement étanches." Il poursuit en évoquant le cas de l'Europe qui a décidé de faire tomber ses frontières internes dans les années 90. Une ouverture ? Oui et non selon l'historien : "Évidemment, on ouvre les frontières européennes pour la libre circulation, on prône une identité européenne, mais au fond ce n'est qu'un changement d'échelle." En ouvrant ses frontières en son sein, l'Europe ne fait que renforcer sa forteresse : "On se tolère mieux entre Européens pour moins tolérer les autres."
Un monde sans frontières, c'est possible ?
En fin de conférence, la question apparaît limpide : les frontières sont-elles vouées à disparaître ? Pour l'historien, il est impératif de les penser différemment pour concevoir autrement le migrant : "On parle des migrants, qu'on imagine tous pareils, qui voudraient tous la même chose, mais c'est évidemment faux. Tous ne veulent pas s'installer durablement dans un pays, ils transitent. On oublie que la migration peut être voulue, et pas subie. Ce n'est pas parce qu'on est bien dans son pays qu'on ne veut pas en partir. Il faut arrêter avec le misérabilisme du migrant." Les a priori sont souvent les mêmes : pauvre, qui souhaite entrer dans un pays pour y rester. Mais pour l'historien, il faut voir au delà de cette image : "Oui il y a des gens qui fuient la guerre et la misère de leur pays, mais il y a en aussi d'autres qui ont simplement le désir de partir." C'est ainsi qu'il évoque l'aide au développement, qui a selon lui montré ses limites. Provocateur, il lance : "Il faut arrêter avec l'aide au développement, on voit bien que ça ne sert à rien." C'est selon lui une histoire de conscience que l'on se donne, pour inciter les gens à rester dans leur pays. Une pensée qu'il est nécessaire de revoir pour le spécialiste de l'époque contemporaine qui ne semble pour l'instant pas avoir de réponse arrêtée quant à la survivance des frontières.