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UTMB : "on ne fait pas mieux dans le monde mais..."

L'UTMB est l'un des plus grands événements sportifs de la planète part de Chamonix vendredi 30 août à 18h. 2 300 coureurs du monde entiers, triés sur le volet, partent pour un tour du mont Blanc de 176 km et 9 900 m de dénivelé positif via 3 pays traversés. Le tout dans un temps maximum de 46h30.

"U-T-M-B. Il suffit de 4 lettres pour écrire une légende. Et de 2 jambes pour y écrire une histoire. Sa propre histoire." Le tableau que fait l'organisation de l'Ultra-Trail du Mont Blanc, une course de 172,9 kilomètres et 10 053 mètres de dénivelé positif autour du plus haut sommet d'Europe occidentale, via trois pays (France, Italie, Suisse), est à la hauteur des passions que l'événement déchaîne.

Si l'UTMB est l'ultra-trail le plus réputé et le plus médiatisé de la planète, le Graal de la discipline, là où tout ultra trailer veut se retrouver un jour, dont la retransmission en live (drones, anciens coureurs pro, VTT...) est ce qui se fait de mieux, attirant près de 100 000 spectateurs le long du parcours qui donnent une énergie à nul autre pareil, entre France, Italie et Suisse, il est aussi celui qui suscite le plus de critiques et a le plus de détracteurs.

Olivier Bessy est sociologue du sport et du tourisme spécialisé dans le domaine de la course à pied. Professeur émérite à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, il est chercheur au laboratoire Transition environnementale et énergétique (TREE), où il mène des travaux sur la transition et l’innovation appliquée aux pratiques, aux aménagements et aux évènements dans les domaines sportifs et touristiques. Il publie cette semaine "20 ans d'UTMB. de la construction du mythe à l'incarnation d'un avatar de l'hypermodernité".

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En 2012, vous publiez une monographie consacrée à l'Ultra Trail du Mont-Blanc, vecteur de rassemblement, de cohésion, de partage et évènement structurant une économie locale. Comment l'UTMB a-t-il évolué en une décennie ?

Les dix premières années ont véritablement été celles de la construction d'un mythe, avec un fort ancrage territorial, en réponse à une demande de coureurs qui voulaient vraiment être dans cette logique de l'extrême, sur un lieu mythique. En fait, le mythe de l'épreuve s'est construit sur le mythe du Mont Blanc. Il y avait une forte adéquation entre un territoire, des écosystèmes d'acteurs et l'événement qui n'était pas encore, je dirais, dans une emprise économique trop forte, même si on pourrait déjà observer quelques limites. La conclusion de mon bouquin était de pointer quelques éléments qui montraient qu'on était en train de grossir peut-être trop vite. Ensuite, dans la décennie 2010, et surtout depuis que Ironman Group a pris une participation dans l'événement, en 2021, un nouvel UTMB a vu le jour et la dérive marchande, sociale et environnementale s'est faite jours. L'évènement a tellement grossi, il est un peu tombé dans la démesure et le gigantisme, voire dans la surenchère, que les externalités négatives sont assez importantes.

D'un autre côté, l'UTMB, ce sont 23 millions de retombées économiques directes mesurées, selon les organisateurs, c'est-à-dire uniquement la consommation des coureurs et de leurs accompagnants, soit une ou à deux personnes en plus qui vivent sur place entre deux et cinq jours...

Oui, c'est énorme. L'UTMB reste toujours un évènement très attractif pour le territoire du Mont-Blanc. On ne fait pas mieux dans le monde. C'est devenu une véritable ressource touristique, c'est indéniable, après faire venir autant de monde, au même endroit, sur un temps très rétréci, cela pose des soucis.

Sur les sentiers de l'UTMB
Sur les sentiers de @UTMB

L'UTMB explique pourtant dépenser un demi-million d'euros dans une mobilité plus respectueuse de l'environnement, égrenant les chiffres : 15 lignes desservant 28 stations, environ 120 bus mobilisés pour la semaine, dont 100 pour la plus grosse journée, des navettes transportant 15 000 personnes, dont 9 000 coureurs et 6 000 accompagnants, économisant environ 6 000 voitures et 900 000 kilomètres de trajets...

Bien sûr qu'il y a des choses sont faites. Ils ont un vrai plan de transport, ils travaillent avec l'Université Savoie-Mont-Blanc sur la protection de l'environnement, notamment sur les zones sensibles traversée, avec les acteurs institutionnels, avec la fondation Montagne sûre, en Italie. D'emblée, ils se sont positionnés sur le volet environnemental. Mais à trop grossir, le découplage avec la logique économique n'a fait que progresser. Aujourd'hui, l'UTMB est avant tout un événement économique. Sans aller jusqu'à parler de greenwashing, on peut quand même se questionner sur le fait qu'un événement qui grossit peut-il encore se targuer d'être protecteur de l'environnement.

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Pourquoi l'appel au boycott, lancé en janvier dernier, par l'Espagnol Kilian Jornet et l'Américain Zach Miller, deux grands champions de l'ultra-trail, a-t-il échoué ? Parce que si on regarde cette année, il n'y a jamais eu de demandes d'inscriptions – plus de 8 000 demandes d'inscriptions pour seulement 2 300 dossards –, le lauréat en titre Jim Walmsley est présent, comme deux autres vainqueurs, Ludovic Pommeret (2016) et Pau Capell (2019), Mathieu Blanchard 2e en 2022 et, chez les femmes, le top 5 2023 est présent, à l'exception de Courtney Dauwalter...

On n'écorne pas un mythe comme l'UTMB aussi facilement. Les sportifs de haut niveau sont prisonniers d'un système de compétition, c'est-à-dire qu'ils doivent aller sur des événements qui offrent une visibilité médiatique à leurs sponsors. Ils en sont les victimes et ne peuvent que difficilement échapper à un système qui organise le sport de haut niveau, entre performance, spectacle, médias, partenaires, argent, visibilité et notoriété. La deuxième raison est que l'UTMB est devenu plus qu'une course et qu'un événement sportif. C'est un fait social total et un laboratoire territorial à ciel ouvert qui s'est diffusé bien au-delà de la sphère sportive et intéresse de plus en plus de monde. Il n'y à qu'à voir la foule, les dizaines de milliers de personnes qui s'amassent au départ et à l'arrivée de l'UTMB, à Chamonix. Et, troisième raison, l'UTMB est une incarnation d'un avatar de l'hypermodernité. C'est le culte de la spectacularisation de soi et de l'illimitisme consommatoire. Finalement, pas mal de gens s'y retrouvent parce que l'UTMB est le symbole d'une société au sein de laquelle chacun cherche à se forger un destin, à être performant.

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Kilian Jornet en tête de l'UTMB 2022 dans la montée finale de la Tête aux Vents.


N'y a-t-il pas autre chose que la performance, comme le fait de concrétiser ses rêves ?
Oui, bien sûr. Ces nouveaux conquérants de l'extrême sont dans la recherche d'affirmation de soi et de construction identitaire. Il y a aussi toujours la démesure, la surenchère, avec des courses de plus en plus longues, des dénivelés de plus en plus gros. On cherche toujours à dépasser ses propres limites mais on cherche également la limite de ce qu'il est possible de faire. C'est aussi un moyen de vivre une expérience, de réenchanter son existence qui génère une vibration existentielle, parce que ces épreuves, notamment l'UTMB, favorisent une résonance à la fois corporelle et sociale. C'est aussi espace-temps symbolique extraordinaire de valorisation sociale et de mise en spectacle de soi. Mais, les ultra-trailers, à l'échelle nationale, c'est au maximum 10% des coureurs à pied, c'est-à-dire 150 000 personnes pour environ 140 ultra-trails organisés. Mais le jogging n'est pas médiatisé. Le marathon est devenu une banalité aujourd'hui. On parle plus de la Diagonale des Fous, de l'Ultra-Trail du Mont-Blanc, des épreuves qui déclenchent des imaginaires de l'extrême.

Quel est le profil type d'un coureur d'ultra-trail ?
On peut dire qu'en majorité, ce sont des urbains diplômés, des cadres sup. Il y a un transfert de la recherche de la performance dans son milieu professionnel, dans le monde du loisir et, notamment, dans ses pratiques d'extrême endurance.

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©UTMB® - photo Pascal Tournaire

Quel modèle, selon vous, l'UTMB devrait adopter pour continuer à exister avec une acceptation sociale ?

L'UTMB est à un tournant de son histoire. Je pense qu'il faut qu'il couple davantage exigence économique, acceptabilité sociale et environnementale. Aujourd'hui, de plus en plus d'habitants commencent à s'agacer parce que ça devient too much. Ce qui est mis en place sur le plan environnemental est quand même inférieur aux dommages qui sont provoqués et aux externalités qui sont générée. Cela reste quand même problématique de faire venir autant de monde au même endroit et au même moment. On parle beaucoup de sobriété, l'UTMB est encore dans la l'idéologie de la croissance.

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