Interview – Samedi 30 juin, Jean-Charles Decaux était présent à Lyon pour le lancement de Vélo'v 2. Avenir du vélo en libre-service, futur de Vélo'v, panneaux publicitaires numériques, situation des Vélib' parisiens, le codirecteur général de JCDecaux a accepté de répondre à nos questions.
L'intégralité des 4 000 Vélo'v du parc sera remplacée par des nouveaux modèles dans la nuit du 17 au 18 juillet. Samedi 30 juin, sur les berges du Rhône, une centaine de nouveaux vélos ont pu être testés par les Lyonnais. Jean-Charles Decaux, codirecteur de JCDecaux avec ses deux frères, est venu présenter les nouveaux vélos à proximité des lieux où son père a installé le premier abribus en 1964. Il venait alors d'inventer un nouveau modèle pour convaincre les villes : offrir du mobilier urbain en échange de marchés publicitaires. L'arrivée des Vélo'v à Lyon en 2005 n'était alors que le prolongement de cette idée fondatrice qui a permis au groupe de maintenir sa domination dans les années 2000, son concurrent Clear Channel se faisait alors plus menaçant. En 2017, JCDecaux a remporté le nouveau contrat de mobilier urbain lyonnais, comprenant Vélo'v, pour une durée de 15 ans, mais aussi perdu celui de Paris et ses Vélib'. Repris par Smovengo, ces derniers virent aujourd'hui à la catastrophe industrielle (lire ici). Dans un contexte où la mobilité est au cœur des enjeux de la ville, Jean-Charles Decaux a accepté de répondre aux questions de Lyon Capitale.
Lyon Capitale : Que ressentez-vous ici sur les berges du Rhône, à quelques mètres des lieux où votre père a installé le premier abribus sous Louis Pradel ?
Jean-Charles Decaux : C'est une énorme émotion comme vous pouvez l'imaginer, pour de nombreuses raisons : pour le père qu'il était et sera toujours, mais aussi pour le grand chef d'entreprise. Il a construit ici un nouveau modèle économique qui s'est développé dans le monde entier et qui, avec 14 000 collaborateurs, nous a permis d'être les leaders.
Les négociations ont-elles été réellement tendues avec la Métropole de Lyon pour ce nouveau marché Vélo'v ?
On reste exigeants, car ce sont des marchés très complexes avec des usages massifs quotidiens et des sujets de maintenance et d'entretien qui sont incontournables. Il faut toujours le garder à l'esprit. L'une des caractéristiques de la Métropole de Lyon, c'est que même si les élus se succèdent et changent de couleurs politiques, il y a toujours un grand respect dans la négociation. Il y a des échanges avec des vraies divergences, mais aussi le respect de l'entreprise. C'est une terre qui a réussi à construire un écosystème politique et administratif unique en France, mélangeant pôles scientifiques et pôles d'entreprises. Donc oui, la négociation a été délicate, mais on est dans un environnement compétitif. Lyon reste la première ville où nous avons commencé, et ça, on ne pourra pas nous le retirer.
La métropole de Lyon est-elle redevenue une vitrine ?
Lyon n'avait pas perdu son statut de vitrine, mais le fait que Paris avait plus de vélos a fait que Lyon est passé derrière en termes de quantité. Lyon est repassé devant notamment grâce à ce nouveau Vélo'v, mais aussi à travers ce qu'on va voir avec les futurs vélos dont les fonctions d'assistance électrique pourront être débloquées grâce à une batterie portable. Cette dernière est révolutionnaire, car vous n'avez pas besoin de faire des fondations et raccordements électriques pour les stations. Chacun sera maître de sa propre mobilité : c'est ça l'avenir ! Je peux le dire avec une certaine assurance, le futur du vélo en libre service passera par la batterie portable sous différente forme. Elle évoluera, elle se transformera, elle sera très structurante pour l'avenir du vélo en libre-service dans les villes.
Quel bilan faites-vous du marché précédent et comment voyez-vous le prochain ?
Le bilan est très positif, car on a toujours progressé année après année sur Vélo'v. On a atteint un record sur la dernière année du marché avec 71 000 abonnés. Depuis son déploiement fin mai, 40 % des utilisateurs ont déjà migré sur la nouvelle application mobile qui permet de déverrouiller son vélo. Je rappelle que quand on a mis en place Vélo'v il n'y avait pas de smartphone. Steve Jobs lance l'iPhone en octobre 2007, on a lancé Vélo'v en 2005 ! Désormais, on espère faire progresser encore la part modale du vélo. On va vivre une accélération dans l'adoption des modes doux en matière de déplacement grâce aux effets conjugués de trois éléments : un nouveau Vélo'v, qui j'espère va susciter l'adoption des Lyonnais, des métropolitains et des visiteurs, deuxièmement la capacité d'aller plus loin dans l'agglomération et la métropole avec une extension du service sur de nouvelles communes et enfin la possibilité optionnelle de pouvoir avoir l’électrification grâce aux vélos à assistance électrique et leur batterie portative.
Vous précisez optionnelle, car pour obtenir ces 2 500 vélos électrifiables, la Métropole doit accepter cent panneaux numériques en 2020. Néanmoins, des associations s'opposent à ce déploiement, que répondez-vous à cette levée des boucliers ?
Un premier point est important. En incluant les panneaux numériques, on consommera beaucoup moins d’électricité dans ce nouveau marché que lors du précédent. On fait des efforts considérables sur cette question. Par ailleurs, je vois que le développement du numérique est inéluctable. Ce sont des évolutions sociétales et technologiques. Ces panneaux vont donner la capacité de communiquer au bon moment au bon endroit, à la fois pour les informations des villes et les messages publicitaires. Après, tout ce qui est excessif ne fait pas progresser le débat public et il faut organiser la présence du numérique en ville. C'est aussi vrai pour les vitrines de magasins, qui ont de la visibilité depuis le domaine publique, mais de là à muséifier la ville, ce n'est pas ce qu'on veut faire. J'accepte la critique dès lors qu'elle est constructive et non partisane. Il ne faut pas oublier que grâce à la publicité, on est capable de financer les abribus, les supports d'informations municipales et l'ensemble des Vélo'v, ancienne comme nouvelle génération. Ici sur les berges du Rhône, on ne peut pas dire qu'on est ébloui par la publicité autour de nous. Je pense qu'il faut raison garder, accepter le progrès technique. Il y a beaucoup de gens qui travaillent derrière et même dans les nations les plus vertes au monde, comme les pays nordiques, la Suisse, l'Autriche, on a des panneaux numériques dans les grandes villes. On est dans un débat qui ne choque pas dès l'instant où il est constructif et ne nous fait pas regarder plus dans le rétroviseur que vers l'avenir.
Si la métropole de Lyon accepte les panneaux numériques, seulement la moitié du parc Vélo'v sera compatible avec la batterie transportable, n'y a-t-il pas un risque de créer une frustration chez l'utilisateur ?
50 % du parc sera converti au moment venu, c'est déjà audacieux, aucune ville ne l'a fait, surtout avec ce système de batterie portative. Nous avons lancé la location longue durée de vélo à assistance électrique, 50 % des vélos seront transformables, c'est un très bon premier pas. Si les usages sont plébiscités par nos concitoyens, la métropole pourra réfléchir et il y aura des solutions pour aller plus loin le cas échéant si les élus le désirent.
Cela veut dire plus de panneaux numériques dans la Métropole ou qu'elle paye pour avoir plus de services ?
Soit on arrive à trouver un mode de financement publicitaire. Si on n’y arrive pas : soit il faudra abonder comme on le fait aujourd'hui en matière de transports publics.
Est-ce que vous êtes prêts à revenir gérer les Vélib' à Paris si l'agglomération a besoin de JCDecaux ?
La question ne se pose pas aujourd'hui. Le vélo en libre service est un sujet très sérieux. C'est un sujet qui transporte des milliers de gens tous les jours. Parfois on transportait plus de gens sur Vélib' à Paris que sur certaines lignes de métro. Il faut que les collectivités locales soient extrêmement vigilantes sur les promesses qui leur sont faites. Je ne me prononcerai pas sur ce qui se passera à Paris, car je n'en sais rien. Mon objectif c'est de remplir nos engagements à Lyon. Paris est derrière nous aujourd'hui et cela ne dépend pas de nous. Cette décision, on l'a regrettée. À l'époque, nous avions d'ailleurs évoqué notre crainte du dumping social, la réduction des conditions de travail, la baisse des niveaux des salaires pour les collaborateurs. Force est de constater que ce que nous avions dit à l'époque n'était pas une figure de mauvais perdant, mais finalement s'est avéré juste et réel. JCDecaux est une entreprise qui change la vie des gens, avec ses propres collaborateurs. Ils sont avec nous et pas contre nous et pour ça il faut les considérer, les rémunérer correctement, les motiver et leur donner de la visibilité sur l'avenir, car ce sont eux qui font marcher Vélo'v tous les jours.