Depuis la semaine dernière, elle est même protégée par une porte blindée et un vigile passe la nuit chez elle. C'est la victime collatérale d'une tentative de reprise en main d'un immeuble où les jeunes "partent en cacahuète", comme elle dit, situé au fond d'une petite impasse à deux pas du fameux studio 24, de Roger Planchon.
"Depuis janvier 2006, suite à différentes fusions, la société Alliade a mis en place une nouvelle organisation. On essaye de ramener le calme sur cette résidence, où les locataires nous ont expliqué que c'était invivable, insoutenable. On a de gros problèmes de squats, de halls dégradés, d'ascenseurs cassés, de déjections diverses, avec des familles très difficiles qui se sont approprié les lieux" explique Jean-Jacques Bartoli, directeur du pôle locatif chez Alliade. La gardienne confirme les difficultés de l'immeuble : " Ici les jeunes règnent en maîtres. On a dû murer les garages, ils mettaient le feu... C'est une jungle. Bien des fois, j'ai vu la police s'engager dans l'impasse... Quand ils voient qu'il y a toute une bande, ils font marche arrière à grande vitesse !"
Les familles les plus difficiles ont eu droit à des "rappels au bail", réunions à la mairie où il leur est rappelé leur obligation de respecter la quiétude du lieu. "On a multiplié les actions vis à vis des familles qui posaient problème. Notre expert-sécurité s'est rendu plusieurs fois sur place. On a mis un peu plus la pression ces derniers temps. Et entre autres, une famille a été expulsée jeudi dernier. C'était une des plus difficiles, qui en plus avait de gros impayés" poursuit M. Bartoli.
Problème, la gardienne s'est retrouvée en première ligne. Bouc émissaire facilement trouvée. "Le soir même, deux jeunes m'ont dit : "C'est de ta faute, on t'aura". Je suis la gardienne, pour eux c'est systématiquement moi la responsable. Ils sont persuadés que c'est moi qui appelle les flics. Il y a deux semaines, quatre d'entre-eux ont été emmenés au poste pour un contrôle. Juste après, j'ai retrouvé ma voiture avec les pneus crevés, les portières rayées, les fenêtres cassées et des poubelles déversées à l'intérieur..."
Sa direction a immédiatement pris le problème très au sérieux en faisant poser une double-porte blindée chez elle et en affectant un agent de sécurité à son domicile la nuit. "Il y a une vingtaine de jeunes qui se sont mis sous mes fenêtres... Ils ont fait un rodéo... Ils criaient : "salope ! On te fera la peau ! On va pas s'arrêter là..."" Le lendemain matin, Alliade la convoque et lui propose une solution d'urgence. "On m'a proposé de partir vivre 8 jours à l'hôtel, à leurs frais, et qu'à partir de lundi je parte travailler sur un autre groupe dans le 7e. En provisoire, le temps que ça se calme. J'ai refusé. Je suis réaliste, les jeunes vont se dire : "même la gardienne elle se casse !". J'ai dit à ma direction : "Je refuse de baisser mon froc !" Et puis, c'est fuir pour mieux reporter la chose... Si je pars, il ne faut pas revenir... Du coup, ils m'ont proposé séance tenante un mutation définitive. J'ai refusé. Si tout le monde fuit, on ne résout rien. Il y a d'autres personnes qui vivent ici" raconte la gardienne. Surnommée "Soeur Thérésa", des voisins confirment qu'elle s'implique beaucoup dans sa résidence. "Elle m'a rendu plein de services, chaque fois qu'il y a besoin, elle vient" confie Chikhaoui. "Je suis ici depuis 10 ans. C'est un métier dans lequel j'ai tout mis. Il y a beaucoup de contacts humains" explique-t-elle, pour justifier son intention de "ne pas lâcher."
Une position courageuse qui embarrasse sérieusement sa direction. "Qu'est-ce qu'une femme seule et un agent de sécurité peuvent faire face à 25 jeunes ? Pour nous, la priorité c'est d'assurer la protection de cette femme et de ses deux enfants" estime M. Bartoli, qui développe son plan : "Face à deux jeunes qui pratiquent la guerre de tranchée, la seule solution, c'est de la mettre au vert. Le temps que ça se calme. Et qu'on mette en place un nouveau système de surveillance le soir, avec une réponse graduée : d'abord des médiateurs, puis le service de sécurité, et si on n'arrive toujours pas à se faire entendre de ces jeunes qui squattent le hall, la police. Pour l'instant, elle refuse absolument de partir. On va lui reproposer tous les jours."
Samedi, lors de notre passage dans l'immeuble, la tension était perceptible. Quelques ados, 17 à 19 ans, se lâchent rapidement : "C'est à cause de la gardienne qu'il y a des problèmes". Ils lui reprochent la fermeture "rien que pour nous emmerder" des garages ou de la cour intérieure, où ils allaient jouer au foot (sans forcément se préoccuper de la quiétude des voisins)... "Elle a ghettoïsé notre quartier. Plus ils font ça, plus il y aura de la délinquance. Faut la faire partir ! Faut qu'elle parte ! Qu'on rouvre les garages ! Et qu'on nous construise un city-stade" lance un ado. Plus difficile par contre d'engager la discussion avec les plus âgés.
La gardienne croit pourtant à une solution de médiation. "Il suffit pas de faire des opérations coup de poing. Il y a d'autres solutions pour ramener de l'ordre. Il faudrait qu'on travaille avec des services de médiateurs. C'est ce que j'ai demandé. Moi je peux pas engager la discussion seule avec eux, ils sont trop remontés" . Son directeur n'y croit pas beaucoup : "Je suis prêt à rencontrer ces jeunes pour discuter avec eux. Mais la dernière fois que je suis venu, l'été dernier, ils m'ont foutu dehors sans plus de conversation... On a même eu de la chance : ils ont arrêté de nous courser quand ils ont vu qu'un fourgon de CRS faisait des contrôles au bout de la rue..." Il interroge : "Est-ce qu'on est dans une phase où on peut envisager une médiation ? Je ne pense pas. On est dans une phase d'action beaucoup plus dure, puisqu'une famille a été expulsée, et qu'on ne va pas lui rendre les clés." Il continue de plaider pour un "repli stratégique". Devant le refus de sa gardienne, il hésite sur la marche à suivre : "Elle est en otage vis à vis de ces jeunes. Est-ce qu'on continue à mettre une pression, en mettant en œuvre notre système de surveillance, alors qu'elle est là et constitue un point de fragilité ?" Et de conclure : "Vous savez, le plus simple avec ces immeubles difficiles, c'est de ne rien faire. Vous, journalistes, vous n'en auriez jamais entendu parler. Les locataires se satisfont malheureusement de ces situations : les ascenseurs sont cassés, ils ne dorment pas de la nuit... Mais ils ont la trouille, alors ils ne disent rien." Lundi matin, Evelyne a de nouveau refusé d'être "mise au vert". Son directeur a prévu de lui proposer à nouveau mardi.
Dernière minute : la gardienne suspendue par sa direction lien
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