Les vignerons de Fleurie veulent servir "d’étalon" pour d’autres crus du Beaujolais. Un dossier de reconnaissance en appellation "premier cru" devrait être déposé avant l’été.
Les vignerons beaujolais de l'appellation Fleurie se sont réunis mardi 28 mars pour entériner ce qui pourrait changer l’avenir de leur terroir. Depuis de nombreuses années, ils prévoient de présenter certains des lieux-dits de l'appellation Fleurie devant l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) pour se voir attribuer l’appellation "premier cru". Retour sur ce projet autour des appellations viticoles et de la reconnaissance d’un savoir-faire.
AOC, AOP, climat, lieu-dit, "grand cru ", "premier cru : quèsaco ?
L’appellation "premier cru" correspond à un endroit bien particulier. Si l’appellation d’origine protégée (AOP) est un signe européen qui reconnaît un savoir-faire dans une aire géographique, l’appellation d’origine contrôlée (AOC) protège ces savoirs-faire en France.
En France, l'AOC des vins se décompose en fonction du territoire. D’abord la région, puis la commune et enfin le petit terroir.
En Bourgogne, la notion de "climat " est utilisée pour évoquer ce terroir. Le climat désigne une ou plusieurs parcelles regroupées qui sont homogènes au niveau des types de sols, de l’altitude, de l’exposition et de la pente.
Dans le Beaujolais, c’est le lieu-dit qui est la référence. Ainsi, si l’appellation régionale est le beaujolais, l'appellation communale est fleurie (dans notre cas). Et ce sont des lieux-dits, à Fleurie, qui sont susceptibles d’être reconnus dans l’appellation de "premier cru". Cette appellation, comme pour les "grand cru" en Bourgogne, a pour échelle le lieu-dit dans le Beaujolais. Elle a une plus haute reconnaissance hiérarchique.
7 lieux-dits proposés pour l’appellation "premier cru"
L’assemblée générale, réunie le 28 mars, a largement voté pour le projet de reconnaissance en "premier cru" de certains terroirs particuliers et identifiés : sur plus de 70 votants (représentant 60 % de la surface de l’AOC), les vignerons se sont prononcés à plus de 85 % "pour".
Ainsi, 7 des 48 lieux-dits de Fleurie vont être prochainement présentés à l’INAO pour recevoir l’appellation "premier cru". Sylvain Paturaux, président de l’appellation communale de Fleurie, explique le cheminement de ce projet. "On a fait tout un tas d’études au préalable, d’analyses de sols très poussées pour les connaître et voir leurs liens avec les expositions, les altitudes, les pentes."
En plus de ce travail sur les types de terroirs, le dossier est constitué de recherches sur la notoriété des lieux-dits, grâce à des archives, des ouvrages historiques sur le vin (parfois datant du 19e siècle) ou de la revendication actuelle des lieux-dits par les producteurs. Chaque parcelle est étudiée. Un travail cartographique et géologique - étude de terrain colossale menée par la Chambre d’Agriculture du Rhône en collaboration avec le bureau d’études pédologique Sigales à l’initiative d’Inter Beaujolais, a permis de constater "l’exceptionnelle richesse des sols du Beaujolais".
A l’issue de ces recherches, un classement des lieux-dits a été établi, déterminant ceux qui demanderont l’appellation.
Mardi 28, c’est tout un cahier des charges qui a été adopté afin de correspondre aux autres vins "premier cru" . Parmi les mesures, un rendement plus faible, le désherbage chimique interdit pour les vignes plantées à plus de 1m20 ou encore une mise sur le marché plus tardive.
"C’est une demande de reconnaissance du fait que l’on fait des choses différentes et différemment"
Sylvain Paturaux, président de l’appellation communale de Fleurie
Pour les producteurs, cela dit, l’objectif n’est pas une "révolution" du travail. "On peut largement respecter les valeurs cibles. Le cahier des charges est basé sur ceux des "premier cru" actuels. (…) On a aussi fait une étude pratique pour savoir quelles différences de rendements il y a entre les terroirs en appellation régionale, communale ou "premier cru", reprend Sylvain Paturaux.
Pour lui, le but n’est pas de transformer le travail des producteurs, mais de l’entériner : "c’est une demande de reconnaissance du fait que l’on fait des choses différentes et différemment. La production de vin à Fleurie est donc déjà contrainte de plusieurs manières : rendements plus faibles, maturation plus élevée au moment de la récolte, élevages plus longs.
Adaptation au dérèglement climatique
Cette exigence sur la production permet aussi de s’adapter au dérèglement climatique, qui commence à toucher la viticulture par le réchauffement et les "désordres" pluviaux. Certaines pratiques sont en train de changer : au lieu d’un palissage (fait d’attacher les tiges de la vigne à une structure) haut permettant le développement de nombreuses feuilles, l’heure est au raccourcissement, permettant moins d’évaporation et donc de perte d’eau, cela couplé avec une maturation lente.
"Premier cru" pour le consommateur ?
Ce qui changera, pour le consommateur, c’est une mise en vente plus tardive sur le marché chaque année. Le Fleurie, actuellement mis en vente le 1er février de l’année après la récolte (au début de l’automne), serait désormais disponible un an après sa récolte. Pour le directeur de l’appellation, ce changement a deux sens : "des élevages plus longs, ce qui amène des caractéristiques différentes (un vin récolté plus tôt sera plus fruité, un plus mature aura des arômes plus complexes), donc une différence organoleptique. Les vins vendus plus tard ont également plus de maturité et sont plus prêts à boire au moment où ils sont vendus".
De plus, le prix de ces vins en premier cru" sera revalorisé. Pour les producteurs, il s’agit de marquer une différence avec les appellations communales et de faire suivre l’écart de travail demandé par un écart de valorisation.
Et maintenant ? Le dossier devrait être déposé devant l’INAO avant l’été. Celui-ci mandatera des experts vignerons d’autres régions, qui viendront plusieurs fois par an sur les parcelles. L’expertise permettra de formuler une proposition aux producteurs. Le dossier doit aussi passer devant le comité régional puis national de l’INAO. Ce travail prendra plusieurs années., avant que les lieux-dits de Fleurie puissent porter la mention de 1er Cru.
L’objectif, c’est aussi que Fleurie soit la première commune d’une série d’autres dans le Beaujolais, comme Sylvain Paturaux le précise : "l’idée c’est que Fleurie serve d’étalon pour d’autres crus dans le Beaujolais et que l’on voit la méthode nécessaire pour nous. On essaye de rester cohérents et d’échanger entre nous".