Le président du club de foootball Lyon-La Duchère, Jean-Christophe Vincent.

Violences sexuelles dans le sport : le témoignage poignant du président de Lyon-La Duchère

Jean-Christophe Vincent, le directeur général délégué à la stratégie et aux relations publiques de 6e Sens Immobilier et président bénévole du club de football de Lyon-La Duchère, évoque pour la première fois, pour Lyon Capitale, ce qu’a vécu son fils, victime d’un prédateur sexuel au sein d’un club de roller de Lyon. Voici l'intégralité de son poignant témoignage.

"Si je me suis investi sur cette question de la prévention des violences à l’égard des enfants, c’est que j’ai moi-même été concerné dès le plus jeune âge. J’ai été élevé à Sainte-Foy-lès-Lyon, à côté de l’église Saint-Luc où était Bernard Preynat, ce prédateur sexuel qui a agressé des dizaines et des dizaines de scouts [l’ancien prêtre a été condamné en 2020 à cinq ans de prison ferme pour agressions sexuelles sur mineurs commises entre 1971 et 1991, NdlR]. Moi, je n’étais pas scout, mais tous mes amis l’étaient dont certains ont été les principales victimes reconnues en tant que telles par l’Église. J’ai vu comment Preynat avait détruit des vies amoureuses, érotiques, familiales avec des gens qui n’ont pas toujours eu conscience de leurs agressions alors qu’on était tous au courant depuis les années 90. Avec cette espèce d’omerta qui été mise par les hommes d’Église jusqu’à ce que des associations se mobilisent, comme La Parole libérée, François Devaux et ses amis qui ont eu le courage extraordinaire de mener un bras de fer avec tout le monde. Aujourd’hui, on peut reconnaître à l’Église d’avoir fait un travail d’investigation, d’enquête, de reconnaissance des crimes. Je pense que François Devaux aura une lecture plus sévère que la mienne, car il est davantage concerné. En tout cas, moi, de mon point de vue, il y a quelque chose qui a été fait. Ce qui n’est pas le cas dans les instances sportives. Le même fléau existe dans le sport, on le sait. Il y a régulièrement des articles de presse dénonçant des faits qu’ont pu subir des joueuses ou des joueurs de disciplines sportives différentes et on n’a jamais vu une fédération réellement s’impliquer. Il y a des fédérations qui sont plus exemplaires que d’autres, qui mettent en place quelques initiatives, mais on n’a jamais vu une fédération, comme les instances du football, prendre les choses à bras le corps : mener des enquêtes auprès de ses licenciés, rendre des formations obligatoires auprès de toutes ses parties prenantes et pas que les éducateurs mais les dirigeants, les bénévoles, pour que tout le monde se sente à la fois protégé par les uns, formé par les autres voire surveillé quand il y a des prédateurs sexuels.

Malheureusement, j’ai été touché familialement puisque l’un de mes fils a été victime d’un prédateur sexuel dans un club de hockey à Lyon, le Roller Hockey de Lyon et Les Abeilles de Charbonnières. Il y avait une entente entre les deux structures. Selon l’âge, tu pouvais continuer à appartenir à l’une et jouer dans l’autre. Un éducateur a agressé quatre enfants. On l’a su par la tentative de suicide d’un gamin qui a laissé un courrier dans lequel il parlait des autres enfants. Il est d’ailleurs reconnu handicapé à 50 %. Notre fils a été convoqué par la police et, ce jour-là, on a compris ce qui s’était passé. C’est un long calvaire qui a alors commencé jusqu’à la condamnation, en mars 2020, de ce type, Bruno Girard, à douze ans de prison pour viol sur mineur de moins de quinze ans et agressions sexuelles. Lorsqu’une telle chose arrive, il y a une partie de toi qui meurt, tu te poses des tas de questions. De ce que tu aurais dû voir et que tu n’as pas vu. Mon épouse comme moi, je pense que nous ne sommes pas les derniers des abrutis. On a fait des études, on exerce des métiers à responsabilité, on a eu une forme de vigilance, et moi d’autant plus par ce que j’avais vécu par procuration avec mes amis d’enfance. Je me suis toujours senti concerné par le sujet.


"Un prédateur, c’est quelqu’un qui séduit, qui a une approche stratégique de ce qu’il veut faire"


Et pourtant, je n’ai rien vu. Ce gars-là, qui était bénévole dans ce club, était par ailleurs professeur dans l’Éducation nationale. Il était prof volant auprès de populations encore plus exposées avec les enfants Ulis [les unités localisées pour l’inclusion scolaire sont des dispositifs mis en place pour la scolarité des élèves en situation de handicap, NdlR]. Il donnait également des cours de soutien chez nous, à nos enfants. Donc, on l’a fait entrer à la maison. Je m’en suis tout de suite méfié, mais je n’ai pas su analyser pourquoi. Et quand, avec ma femme, on a compris qu’il y avait quelque chose qui n’était pas clair, c’était trop tard, car le mécanisme de défense de notre fils était en place. Il faut bien imaginer qu’un pervers sexuel, ce n’est pas comme dans les films, une personne avec une tête de pervers, qui est au fond de la pièce à vous regarder de façon tordue. Non, c’est quelqu’un qui séduit, qui a une approche stratégique de ce qu’il veut faire. C’est-à-dire qu’il va séduire les bonnes personnes, les responsables du club sportif, les mamans, les leaders dans les groupes et qui saura s’attaquer aux enfants les plus exposés. Les enfants à haut potentiel, ceux qui s’interrogent sur leur sexualité, les hypersensibles… Il saura les repérer et s’attaquer à eux.

On a vécu un procès extrêmement violent parce que le club de sport en question ne s’est pas porté partie civile et n’a apporté aucun soutien aux familles. Ç’a été le silence total. La ligue et la fédération n’ont rien fait, personne n’a bronché. Cela a même été pire puisque pendant les trois jours de procès, des familles et des enfants devenus adultes sont venus soutenir le prédateur. Et même après la sentence des douze ans de prison, les choses actées par la justice, ils étaient là, à nous provoquer, à nous en vouloir de l’avoir fait condamner. Déjà qu’une partie de nous meurt vis-à-vis de notre enfant et, en plus, la société au sens large est à vomir. Là, dans notre cas, elle est représentée par ces parents, ces jeunes adultes, ce club, ce sport, cette ligue, cette fédération… qui ont été vraiment à gerber dans leur attitude, mais ils sont révélateurs de ce que la société pense de la pédocriminalité. On jette un voile, car on ne veut pas soi-même se remettre en question et on mélange beaucoup de choses. Si le monde du sport ne s’empare pas de ce sujet, c’est que certains ne sont pas exemplaires. Cela ne fait pas d’eux des pédocriminels mais ce sont des mecs âgés qui envoient des messages salaces à des gamines, ce sont des mains aux fesses des femmes…


"On a affaire à trop de dirigeants d’associations sportives qui s’en contrefoutent et ferment les yeux"


Comment voulez-vous que ces personnes, qui ont des responsabilités, puissent demain lancer de grandes enquêtes sur la pédocriminalité ? Ça leur reviendrait comme un boomerang dans la gueule, parce qu’elles-mêmes ne sont pas irréprochables sur d’autres sujets. Ce n’est pas avec ces gens qu’on fera avancer les choses, car il faut avoir les fesses propres pour réussir à régler ces problématiques. D’où le sens qu’on a donné à notre projet au sein de Lyon-La Duchère, parce qu’il peut y avoir des évolutions législatives. Je pense que les collectivités peuvent conditionner leurs aides au fait que les clubs fassent des formations avec des associations comme L’Enfant bleu, Colosse aux pieds d’argile et toutes les autres. Le législateur peut aussi décider que l’État ne distribue pas d’argent à des fédérations qui ne se mobilisent pas à la hauteur de l’enjeu. C’est pour cela qu’il faut en faire une cause nationale au moment des Jeux olympiques (2024, à Paris). En tant que père qui a vécu trois, quatre ans avec sa famille de souffrances, j’aurais aimé avoir un club qui se mobilise, j’aurais aimé avoir une fédération qui se décide à agir et, aujourd’hui, j’aimerais que les pouvoirs publics n’attribuent plus de subventions à des clubs qui ne font pas ce travail de prévention et de sensibilisation.

On a affaire à trop de dirigeants d’associations sportives qui s’en contrefoutent et ferment les yeux. À Lyon-La Duchère, certains pensent peut-être que je ne suis pas sérieux mais au 31 décembre 2022, ceux qui n’ont pas fait la formation mise en place ne feront plus partie du club. Cela pourra être écrit dans un journal que je m’en fiche des conséquences au niveau des prud’hommes, mais je l’assume car quelqu’un qui refuse de faire cette formation représente un risque. Quelles que soient ses justifications. De la même manière que quelqu’un sur lequel j’ai un doute, je l’écarte du club. Peut-être qu’une fois, je serai injuste, mais neuf fois sur dix, mon regard sera le bon. Car, à un moment, mon regard était le bon et je n’ai pas su aller au bout donc je ne prendrai jamais le risque avec quelqu’un sur qui j’ai le moindre doute.

Quant à savoir si le fait que le prédateur sexuel soit décédé est un soulagement, personnellement, je ne sais pas répondre à cette question. Il n’y a qu’une seule chose qui m’intéresse, c’est que cela a apaisé mon fils, il n’y a que ça qui compte [pris par l’émotion, Jean-Christophe Vincent, au bord des larmes, s’interrompt, NdlR]. L’accusé a tout fait pour me séparer de mon fils, pour se mettre en opposition. Il était de six, sept ans plus jeune que moi et il arrivait à distiller tout ce sur quoi je m’opposais avec mon gamin de douze, treize ans. J’interdisais les jeux vidéo la semaine, on a fini par apprendre qu’il jouait en ligne jusqu’à tard dans la nuit avec notre fils, c’est ce qui a d’ailleurs fait qu’on l’a viré des cours de soutien. Concernant les matières sur lesquelles il fallait être sérieux à l’école, il lui affirmait l’exact contraire de ce que je disais. Il lui racontait que j’étais plus passionné de foot que de roller hockey car, comme par hasard, le foot est le sport pratiqué par son frère. Il a voulu distiller ce doute : ‘Toi, ton père préfère ton frère.’ Il a voulu mettre des coins entre mon fils et moi. Et pas de façon brusque mais construite, progressive et intelligente afin de réussir à nous séparer suffisamment pour qu’il y ait des mécanismes qui soient mis en place. À tel point que lorsque je lui posais des questions : ‘Mais il est bizarre’, ‘tu es sûr que’, ‘il n’a pas eu de gestes déplacés ?’, il me disait que non. C’est un mécanisme de défense.


"Cette affaire a été violente, car le système judiciaire est violent"


Je suis convaincu qu’il y a eu d’autres victimes et même dans les familles qui sont venues défendre le gars pendant le procès. D’ailleurs, il y a une victime qui s’est révélée pendant le procès alors qu’à la base, elle était venue pour défendre l’accusé. L’une des amies du prédateur, une professeure, qui l’a accueilli dans le sud de la France est venue témoigner en sa faveur, alors que le type faisait venir des mineurs de moins de quinze ans chez elle, et il leur montrait des sexe-toys, des films pornos gays, il leur faisait fumer du cannabis et boire de l’alcool. Cette prof est venue devant le juge pour dire qu’elle trouvait ça normal. Mais comment est-ce possible ? Comment peut-elle dire des absurdités pareilles ? Je l’ai insultée, car j’étais hors de moi, j’étais en souffrance. Puis, tu essaies de prendre du recul, de réfléchir à tout ça. Il y a de tels ressorts psychologiques qui sont mis en place par un prédateur sexuel qu’il arrive à rendre les gens dépendants de lui. Ça me fait mal de le dire, mais il y a une intelligence redoutable qui fait qu’il parvient à convaincre des parents, des enfants, des amis que c’est un type bien. Et que même quand ils ont sous les yeux l’évidence, ils vont continuer à le défendre.

Cette affaire a été violente, car le système judiciaire est violent. Tu te retrouves seul même si on a eu une excellente avocate. Tu dois faire face à un juge d’instruction qui fait son travail mais avec détachement, et là encore tu as envie de vomir. Il est en train de parler à ton gamin devenu presque adulte, alors qu’à l’époque il avait douze, treize ans, en le questionnant sur son orientation sexuelle. Puis, il faut gérer la présence du prédateur, qui était libre lors du procès. Il se balade, tu le retrouves sur les marches du palais de justice en train de discuter avec d’autres gamins. C’est d’une violence extrême. Il y a aussi tous ceux qui viennent te donner des leçons, qui se croient dans un film hollywoodien : ‘Si c’était moi, je l’aurais tué.’ Sauf que, dans la réalité, ce n’est pas ça. En France, tu as un système judiciaire qui est là pour te rappeler ce que tu peux faire. Mais il y a surtout la relation à ton enfant, qui n’a certainement pas envie que tu ailles en prison, même si tu as des envies meurtrières, même si, parfois, tu peux toi aussi croire que tu es dans un film et aller voir sur Internet comment tu peux te procurer une arme et des conneries comme ça. Encore une fois, tu es vite rappelé à la réalité de la souffrance de ton enfant et au poids du système judiciaire.”

Retrouvez notre article (4 pages) consacré aux violences sexuelles dans le sport dans le mensuel Lyon Capitale daté de décembre 2022, en vente en kiosques et sur notre boutique en ligne.

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