C'est une épidémie de fièvre Ebola sans précédent que l'Afrique de l'Ouest connaît depuis le début de l'année. Selon le dernier bilan de l'OMS, le virus a tué 1 013 personnes sur les 1 848 cas dénombrés. A Lyon, Sylvain Baize et l'équipe du Centre national de référence (CNR) des fièvres hémorragiques virales à l’Institut Pasteur ont été les premiers à identifier le virus au mois de mars dernier. Le spécialiste reste mesuré quant à la décision de l'OMS qui recommande les traitements expérimentaux en Afrique.
Le virus Ebola est entré en Europe a fait son apparition en Espagne le 7 août dernier, avec le rapatriement d'un prêtre espagnol contaminé. Existe-t-il un risque d'importation en France ?
Il existe bien sûr un risque théorique. Il n'est pas impossible qu'un malade en phase d'incubation l'importe, en avion par exemple comme ça a pu être le cas au Nigeria. C'est un risque faible, mais qui existe. Ensuite, tout a été mis en œuvre actuellement pour le surveiller. S'il y a des soupçons sur un cas d'incubation, l'Institut nationale de veille sanitaire (InVS) est là pour veiller et isoler la personne très rapidement, et le CNR mettra en œuvre le diagnostic afin d'exclure le risque. Si on ne peut éviter l'importation, tout est mis en œuvre pour éviter des contaminations secondaires. L'InVS a mis en place des dispositifs afin de prendre en charge d'éventuelles personnes sous suspicion d'importation du virus.
L'épidémie qui a déjà fait plus de 1000 victimes en Afrique de l'Ouest est-elle historique ?
Oui, il s'agit de l'épidémie la plus importante. Pour vous donner un ordre d'idée, il y a plus de cas recensés lors de cette épidémie que lors de l'intégralité des épidémies depuis 1976.
Comment l'épidémie a-t-elle débutée?
On a pu montrer par la souche à l'origine de l'épidémie qu'elle n'a pas été importée. Elle est présente en forêt de Guinée depuis un certain temps. C'est le contact avec la faune sauvage, notamment les chauves-souris qui l'hébergent qui transmet le virus à l'homme. On sait que les singes sont très sensibles tout comme les chauves-souris à ce virus. Dans les zones de contamination, les habitants consomment de la viande de ces animaux, et c'est ainsi qu'il a pu se transmettre à l'homme.
Existe t-il des solutions connues pour stopper la propagation du virus ?
Elles sont simples. Ce sont les mêmes solutions depuis 1976. Il faut dans un premier temps stopper toute transmission inter-humaine. Pour cela, il faut isoler très rapidement les malades et les hospitaliser pour éviter qu'ils transmettent la maladie à leurs proches. La 2e chose à effectuer est la protection de l'ensemble des personnels soignants. Ensuite, et c'est la partie la plus difficile, il faut suivre tous les contacts potentiels des personnes atteintes et qui peuvent être incubateurs de la maladie. Ces trois choses permettent d'endiguer Ebola.
L'OMS malgré des critiques recommande l'utilisation de traitements expérimentaux. Quel est votre avis sur cette décision?
Je ne suis pas compétent pour commenter la décision de l'OMS. A l'heure actuelle, l'ensemble des recherches sont expérimentales et se trouvent en amont de l'épidémie. En tout cas, on est encore très loin d'un médicament administrable à l'homme.
Quel est le rôle des laboratoires de l'Inserm de Lyon dans ces recherches ?
L'Inserm de Lyon intervient dans différents aspects. Tout d'abord, notre rôle est de diagnostiquer la maladie. C'est ce que nous avons fait au mois de mars. Je me suis rendu sur place afin d'effectuer une expertise sur le terrain. A partir du moment où on a identifié la pandémie notre rôle est de conseiller et d'informer la population. Des personnels se relaient depuis le mois de mars en Afrique de l'Ouest.
En France, nous sommes en charge du dispositif de surveillance de l'importation de l'épidémie. Des équipes du Centre international de recherche en infectiologie sont actuellement en train d'effectuer des recherches sur l'infection.
Que connaît-on réellement du virus ? Sait-on si de la même manière que la grippe on se retrouve avec un virus qui peut évoluer ?
On ne connaît pas tout du virus. Il s'agit d'un virus à ARN qui mute donc énormément, mais se réplique très mal. Paradoxalement donc, il existe un équilibre entre le virus et son hôte. Le virus Ebola mute macroscopiquement très peu. La souche actuelle est à 98% similaire à son homologue de 1976 et à celle d'il y a quelques années. Cela facilite les choses dans l'élaboration d'un vaccin, au contraire de la grippe, en constante mutation, et dont le vaccin doit être modifié chaque année.
Comment expliquer dès lors qu'il n'y ait pas encore eu de vaccin trouvé pour endiguer l'épidémie ?
Il existe des candidats vaccins prometteurs depuis bientôt 15 ans pour le premier et 6-7 ans pour le second. Ils fonctionnent chez l'animal mais entre les deux moments il s'écoule environs 10-15 ans. Il faut investir beaucoup. Le second problème est qu'avant cette épidémie, le virus Ebola n'était pas considéré comme un virus urgent avec seulement 200 cas recensés. Enfin, il existe le problème du test du vaccin. Il faut pour cela une population à risque. Or, contrairement aux tests du VIH par exemple ou il est plus aisé de trouver des personnes à risque, en ce qui concerne Ebola, c'est bien plus difficile. On ne sait pas où le virus va sévir. Il n'est pas dit qu'en Guinée après cette épidémie, d'autres cas se présentent. C'est donc difficile d'autant que mettre en place un vaccin demande beaucoup d'argent, et que pendant longtemps les industriels pharmaceutiques ne s'intéressaient pas du tout à ce problème.