Mycola Cuzin, président du Comité Ukraine 33, basé à Lyon. Il revient sur l'invasion militaire russe en Ukraine et sur l'histoire de ce pays qui a déjà subi la fureur russe.
Vous présidez le Comité Ukraine 33, à Lyon. 1933 est une date particulièrement importante pour le pays pour comprendre le cadre historique et les enjeux stratégiques de cette crise...
La cadre historique est quand même bien antérieur à cette date. L'Ukraine, contrairement à ce que les Occidentaux pensent, c'est pas pas un appendice qui aurait été détaché de la Russie aux alentours de 1991. L'Ukraine était un immense empire autour de l'an mil, la « Rous de Kiev ». C'est un pays dont les derniers territoires ont définitivement perdu leur indépendance seulement vers 1775, à peu près en même temps que la Pologne. Ils sont revenus sur la carte du monde à la faveur de la Révolution de 1917.
Mais l'Ukraine, trop proche de la Russie, était attaquée aussi bien par les armée blanches impérialistes que les armées rouges communistes. La tout jeune indépendance de l'Ukraine, qui remontait a 1919, avait été écrasée dans le sang. Les armée ukrainiennes se sont retirées devant Varsovie pour aider les Polonais à sauver leur pays.
Après, il y a les années 30 : c'est l'époque des la russification intensive de l'Ukraine, la destruction du clergé ukrainien, des élites intellectuels, des artistes jusqu'à la famine génocidaire de 1932/1933. Ce génocide est intervenu dans le cadre du plan quinquennal avec des décisions très spécifiques concernant l'Ukraine, ce qui autorise de dire qu'il s'agit d'un génocide. D'ailleurs, Rafaël Lemkin, qui a forgé le concept de génocide en 1948, parle bien de « génocide soviétique en Ukraine ». Déportations, exécutions... le bilan fait état de 5 à 8 millions de morts, les documents d'archive les plus intéressants sont partis à Moscou, on ne les reverra jamais. Ce génocide, perpétré avec la complicité de certains milieux progressistes, est aujourd'hui très bien documenté dans les milieux universitaires qui, malheureusement, n'ont pas la capacité d'influencer l'opinion et de faire reconnaître ce génocide. Les régions de Donetsk et Lougansk, occupées depuis huit ans ; sont se sont retrouvés à l'épicentre du génocide. Quand quand on entend Vladimir Poutine dire qu'il est obligé d’interverti parce que les Ukrainiens commettent un génocide, c'est une horreur.
Poutine redessine les frontières d'ex-républiques soviétiques au profit de la Russie.
Comment est perçu cet Holodomor, mot ukrainien signifiant " l'extermination par la faim" par Poutine ?
Il s'y refuse. Il reprend les éléments de langage de l'époque stalinienne : il y a bien eu une famine, due à une désorganisation agricole inhérente inhérente au premier plan quinquennal. Poutine argue qu’il y a eu des famines dans d'autres régions. Autrement dit, c'est de la dénégation pure et simple, du négationnisme. Je le répète : que Poutine soit capable de dire que l'Ukraine mène un génocide là où son père spirituel, Staline ,a lui même mené un génocide, c'est effrayant.
D'aucuns disent que Poutine a franchi le rubicon historique en Ukraine. En réalité, il l'a déjà franchi à deux reprises : en 2008, en reconnaissant l'indépendance et en intervenant militairement en Abkhazie et en Ossétie du Sud au détriment de la Georgie, puis en 2014, en annexant la Crimée ?
Poutine redessine les frontières d'ex-républiques soviétiques au profit de la Russie. Ce n'est ni plus ni moins la politique russe telle qu'on la connait depuis longtemps : 1956 Budapest, les Hongrois n'avaient pas appelé au secours mais les Russes se sont sentis obligés de leur b^-$venir en aide, 1979, Afghanistan, Georgie en 2008, le Kazakhstan plus récemment, où il sont intervenus à la demande du président cette fois.
Le Kremin cherche à "ressusciter l'URSS" a déclaré le ministre de la Défense ukrainien au lendemain de la décision de Vladimir Poutine de reconnaître l'indépendance des territoires séparatistes dans l'Est de l'Ukraine. En définitive, malgré ses déclarations de ne pas vouloir "reconstituer un empire", Poutine est en train de le faire non ?
Bien sur. Il a lui même dit, à peine arrivé au pouvoir la chute de l'URSS était pour lui un événement géopolitique majeur et dramatique. L'Occident est coupable de ne rien avoir fait, malgré ce qui s'est déjà passé en Crimée. Cela fait quand même huit ans dans la presse qu'on continue à nous dire que Kiev doit faire face à des séparatistes pro-russes. De séparatisme, il n'y en avait que dans la mesure ou la Russie l'a organisé. Depuis huit ans,des unités de l'armée régulière et de unités spécialisées se sont succédées pour alimenter cette guerre dans le Donbass. Poutine est a un taré qui est prêt à prendre des mesures « jamais vu » comme il dit. On peut raisonnablement s'attendre à des frappes nucléaires. L'Occident est resté dans la posture que Vladimir Poutine est un dirigeant normal avec qui on peut in fine discuter. Quand dans des émissions tv, à des heures de grande écoute, des animateurs se permettent d'inviter des gens qui rigolent presque en disant que les Anglais, ils les emmerdent et ils vont les vitrifie, que les Ukrainiens sont des cloportes et des sales nazis.... cela s'appelle préparer sa population au pire.
Quand vous déshumanisez un ennemi désigné comme l'Occident qui est considéré comme un ramassis d'êtres oisifs et pédophiles, cela signifie que vous préparez votre population à accepter l'inacceptable.
L'Occident est resté dans la posture que Vladimir Poutine est un dirigeant normal avec qui on peut in fine discuter.
Vous pensez vraiment à des frappes nucléaires ?
Quand on voit tout ce dont Poutine est capable. Je suis un simple particulier, je n'ai pas affaire à des informations secrètes. Je me renseigne via la presse internationale et ukrainienne, très bien informée. Nous avons accès à des images satellites déclassifiées : les fameuses manœuvres russes, cela fait des mois que Poutine les prépare. Cela fait des semaines qu'on sait qu'ils acheminent des hôpitaux militaires , plusieurs jours qu'ils font venir des poches de sang réfrigéré. A votre avis, c'est pour faire quoi si ce n'est s'attendre à recevoir de nombreux de blessés à soigner ? Pourquoi ont-ils acheminé sur le front 45 000 sacs mortuaires ?
La Russie est "toujours ouverte à un dialogue direct et honnête » pour « trouver des solutions diplomatiques" disait Poutine mardi 23 février. Faut-il encore le croire ?
Vladimir Poutine mène en bateau tout le monde. Bismarck (chancelier de la fédération de l'Allemagne du Nord de 1867 à 1871) à son époque disait déjà que les traités signés avec la Russie na valaient pas plus que l'encre avec laquelle ils sont rédigés.
Le journaliste français Sébastien Gobert qui a vécu 10 ans en Ukraine, responsable du service internationale de La Libre Belgique disait il n'y a pas longtemps dans une chronique : "J’ai trop vu et trop vécu pour croire un seul mot émanant de Moscou." Il y avait des gens foutus de comprendre tout ça...
Ce qu'on redoute ce n'est pas la mise en place d'un "régime fantoche" , pour reprendre l'expression de Vladimir Poutine, c'est l’anéantissement pur et simple de l'Ukraine
S'il n'y a pas de stop à Poutine, l'Ukraine sera une simple étape, comme l'ont été la Georgie ?
Bien entendu. Mais ce qu'on redoute ce n'est pas la mise en place d'un "régime fantoche" , pour reprendre l'expression de Vladimir Poutine, c'est l’anéantissement pur et simple de l'Ukraine. Il y a des éléments dialectique qui montrent que Poutine et son entourage vouent une haine profonde au peuple ukrainien. Quand vous regardez l'historiographie moderne soviétique et post- soviétique, les Russes ont toujours revendiqué l'histoire médiévale de l'Ukraine. Pour eux, les Ukrainiens n''existent pas, ils sont une sous race et parlent une langue qui était qualifiée, à l'époque soviétique, de langue non humaine. On avait tous les éléments du grand massacre.
Quelles sanctions pourraient être efficaces contre la Russie ?
Je ne sais pas... Les sanctions économiques seront appliquées, certes. Mais la Russie a du gaz, du pétrole, du blé et des armes. Et dire qu'en 2015, on se disait qu'il fallait réintégrer la Russie dans le G7, et le G0.
"Que tu le veuilles ou non ma jolie, il faudra que tu le supportes." Il s'agit d'une chanson à boire russe, nécrophile puisque dans le premier couplet il est écrit que "la belle est endormie dans son cercueil, je m'approche pour la baiser". Cela résume très bien la pensée de Vladimir Poutine vis-à-vis de l'Ukraine.
Une intervention de l'Europe ou de l'Otan est-elle envisageable ?
L'Otan, les armées d'Europe occidentale pourraient largement tenir la dragée haute, avec des armes conventionnelles on est bien d'accord, mais personne ne lèvera le petit doigt. Oui mais Poutine est fort de nos faiblesses. Il dit qu'il sent sent menacé. Par qui ? Y a-t-il eu un seul mort depuis l'entrée des Pays baltes dans l'Otan ? Si les Occidentaux avaient voulu nuire à la Russie, cela fait longtemps que l'Ukraine aurait été accepté de facto dans l'Otan. Les gens n'ont pas écouté, Poutine a pourtant beaucoup parler, n ne peut pas lui reprocher, même si depuis une quinzaine de jours il joue au poker menteur. Je vous rappelle la petiote phrase qu'il a eue à l'issue de sa rencontre avec Emmanuel Macron, en parlant de l'Ukraine: que tu le veuilles ou non ma jolie, il faudra que tu le supportes. Il s'agit d'une chanson à boire russe, nécrophile puisque dans le premier couplet il est écrit que "la belle est endormie dans son cercueil, je m'approche pour la baiser". Cela résume très bien la pensée de Vladimir Poutine vis-à-vis de l'Ukraine, qu'il considère comme un paillasson et une prostituée. Il faut avoir à l'esprit la capacité de désinformation russe. Evgueni Prigogine, l'un des magnats dans l'empire de Poutine, est propriétaire une agence patriote qui détient 146 médias destinés uniquement à faire de la propagande russe contre les personnes hostiles au régime russe. Cela fait des années que les réseaux sont saturés avec des trolls de propagande russe.
Ce qui fait que 50% des Russes estiment que Poutine a raison d’utiliser la force pour "empêcher l'Ukraine de rejoindre l'Otan" (contre 25% qui pensent le contraire et 25% qui se se prononcent pas)...
Oui. Et puis la société civile russe est totalement anéantie. L'association chargée de promouvoir la mémoire du goulag, des camps de la mort est interdite... Cela prouve bien que Staline est réhabilité, d'ailleurs des musées fleurissent un peu partout en son honneur. Poutine anesthésie la mémoire de son propre peuple. Il le prépare a ce que des événements douloureux surviennent de nouveau.
Quelle est l'étape suivante ?
Les Pays baltes, où il y a d'importantes minorités russes. Cela commencera par un crime, une explosion perpmétré apr les services d'espionnage russe. Et une fois que Kiev sera tombé, il y aura une intervention militaire dans les Pays baltes. C'est dramatique.
La géopolitique parle d'elle même. Le Donbass ukrainien longe la Russie menant aux mers d'Azov et Noire via la Crimée. Les seules mers chaudes accessibles à la fédération vers le Bosphore et la Méditerrané.
Or, en 1954, d'un simple décret, Khrouchtchev, 1° secrétaire du parti, fit don de la Crimée à l'Ukraine. Alors qu'elle avait été russe depuis la fin du XVIIIe siècle. Les raisons de la cession de la péninsule à l'Ukraine par Nikita Khrouchtchev font toujours débat. Jupiter, désintéressé par l'élection présidentielle, y trouve son jour !
L'Ukraine a toujours été un pays, ceci avant le rattachement à l'URSS. Avec une langue spécifique, et une "colonisation" par les russes de l'époque.
Donc votre analyse qui légitime cette invasion est fausse.
Quant à "la faiblesse de l'Europe",
oui, elle a toujours été sabotée par les nationalistes (qui a financé le RN avec un prêt bancaire ? 🙂 ) et ce n'est pas pour rien que Poutine aide les nationalistes de chaque pays européen. C'est pour servir SES intérêts.
Mais le problème est surtout d'arriver à parler au peuple russe, qui lui dans son immense majorité n'a pas envie d'envahir qui que ce soit. Le pays est suffisamment vaste et riche pour assurer son autonomie.
Poutine est un "malade du pouvoir" qui a fait toutes les "astuces" possibles pour rester au pouvoir même lorsqu'il a fait en sorte que son 1er ministre prenne la présidence le temps de remettre les compteurs légaux à zéro, pour ensuite reprendre le pouvoir.