Pourquoi s’intéresserait-on à Zemmour, ce candidat “de seconde zone” ?, s’interroge le philosophe Raphaël Enthoven. Peut-être parce qu’avec sa panique identitaire, il incarne notre époque. L'éditorial du rédacteur en chef de Lyon Capitale.
Un cavalier qui surgit hors de la nuit, court vers l’aventure au galop, son nom il le signe à la pointe de l’épée, d’un Z qui veut dire Zemmour.
Pas de masque ni de costume noir pour cacher son identité. Éric Zemmour est (presque) sur toutes les lèvres. Pas une semaine sans qu’on parle de lui à la télé, dans la presse, sur les réseaux sociaux, dans les dîners. Zemmour raisonne. Zemmour résonne.
Overdose de Zemmour. On peut parler d’autre chose ? Les journalistes en font trop ? La couverture médiatique qui lui est accordée est démesurée ? “‘Il n’y en a que pour lui...’, s’agace le coronavirus”, ironise le site d’information parodique Le Gorafi.
Pour quelles raisons accorder autant d’espace à un homme si critiqué, qui n’a aucune fonction élective aujourd’hui et qui n’est officiellement encore prétendant à rien ? Parce que Zemmour, c’est un peu le grain de sable dans une machine bien huilée.
Z comme zizanie. Zemmour redistribue les cartes de l’élection présidentielle. Il bouscule la pré-campagne, sème le trouble à droite, rudoie la polarité droitière du débat. Il faut dire que la platitude de l’offre présidentielle – une gauche à court d’idées et une droite sans candidat – est une aubaine pour un Éric Zemmour qui dérange, effraie aussi, autant qu’il intrigue.
Bizarrerie. Au lieu de se désintéresser d’un candidat que 59% des Français rejettent - une étude Odoxa montre qu'il est la figure politique la plus impopulaire de France, Jean- Luc Mélenchon jouant le rôle de deuxième dauphin - Zemmour fascine, enivre et obsède.
Forcément, il fait le buzz. Sa parole sans compromis frappe à un moment de droitisation du pays, dans une société dont les nerfs sont à vif. Bloc contre bloc, choc des radicalités.
L’opinion, mais aussi les médias, se délecte de ces désordres, de ces déstabilisations et de ces petits chaos. La curiosité, collective, produit à la fois un besoin et une nécessité de décryptage de l’actualité. Tout aussi extrême qu’il est, Éric Zemmour ne peut pas être persona non grata dans le débat public. C’est ce qu’on appelle la démocratie. D’autant plus que le CSA a décidé de décompter ses apparitions médiatiques en tant que possible candidat à la présidentielle.
Effet domino, une secousse ici en crée une autre là. Z comme zob. L’humoriste de France Inter, Charline Vanhoenacker, s’est essayée à une plaisanterie d’un goût pour le moins douteux sur son compte Twitter, en crayonnant une moustache hitlérienne et le mot “zob” sur les affiches de Zemmour. Côte à côte, face à face.
Officiellement, Zemmour est infréquentable. Trop sulfureux. Trop polémiste. Trop réac. Il suffit d’interroger des patrons de la région, tous diront la même chose : rétrograde, obscurantiste. Pour autant, certains l’ont rencontré, reconnaissant, en off, qu’il suscite “de l’intérêt” ou de “la curiosité”.
La correspondante de CNN à Paris a d’ailleurs fait le parallèle entre Trump et Zemmour dans les colonnes du JDD : “Ce sont tous les deux des personnalités qui pensent représenter une majorité de la population, ils ont le même fond et sont sur une même dynamique.” Trump a gagné avec la force de frappe du Parti républicain. Zemmour, quant à lui, n’aura pas ce soutien.
Zemmour est plus penseur que chef, plus éditorialiste que candidat présidentiel. Si son débat avec Jean-Luc Mélenchon a sans doute donné le top départ de la campagne, les 3,8 millions de téléspectateurs ont davantage assisté à un échange de coups qu’à un partage d’idées.
Pourtant, des idées, il y en avait. Pourquoi s’intéresserait-on à Zemmour, ce candidat “de seconde zone” ?, s’interroge le philosophe Raphaël Enthoven. Peut-être parce qu’avec sa panique identitaire, il incarne notre époque.