Juste avant la rupture du jeûne, les musulmans de Lyon se retrouvent pour faire leurs provisions dans le quartier de la Guillotière. Immersion dans le marché du ramadan, rue Paul Bert.
Les odeurs de pâtisseries sucrées se disputent aux senteurs de pain et de viande fraîche ce lundi soir, rue Paul Bert. Des dizaines de personnes déambulent dans la rue pour acheter de la nourriture et des boissons. Ils s'interpellent d'un côté à l'autre de la rue, se passent les marchandises et traversent la voie dans l'anarchie la plus complète, quitte à congestionner le trafic et à rendre quelques automobilistes mécontents. Mais la plupart des klaxons que l'on entend sont en réalité ceux de co-religionnaires qui se saluent en riant. Une heure avant la fin du jeûne prévue officiellement à 21h20, le quartier est en effervescence.
Le ramadan ordonne au croyant de se priver de nourriture et d'eau jusqu'au coucher du soleil. Après une journée de privation parfois difficile, ils doivent s'assurer d'avoir suffisamment de provisions à consommer une fois la nuit tombée. L'occasion d'organiser de grands marchés où chacun vient remplir son frigo dans l'attente de la rupture du jeûne.
"Au ramadan si tu n'as rien ce n'est pas grave, tu viens manger avec nous"
La période est si particulière que la plupart des magasins traditionnels du quartier ont changé leur programme. C'est le cas du restaurant de la Palme d'or qui propose exceptionnellement une très large variété de pâtisseries orientales à emporter et qu'Ali, un employé, nous fait découvrir avec enthousiasme. "Il y a les Zlabias, à base de miel, les gens adorent ça. Il y a aussi les Kalb elouz, avec de la semoule et de la fleur d'oranger. Ou encore les baklawas qui marchent très bien aussi." Une ambiance de marché couvert règne dans son magasin où les clients viennent mettre leur nez au dessus des montagnes sucrées soigneusement disposées un peu partout. "Les gens viennent souvent après le boulot pour faire des prévisions, mais évidemment on n'y touche pas avant la rupture du jeûne", s'amuse-t-il, conscient que les produits qu'il propose sont extrêmement tentants.
Il faut pourtant résister, malgré le mélange d'odeurs et de saveurs qui a envahit la rue. Les croyants s'affairent pour charger la nourriture qu'ils ont souvent achetée en grosse quantité. En plus des boutiques, on trouve sur le trottoir de nombreux étals qui proposent de tout. Nono, lui, vend du pain. "On fait ça de père en fils depuis 1881, vous vous rendez compte ? Moi, quand j'ai commencé il y a quelques années, je n'en vendais que 40, maintenant j'en ai plus de 1 200", dit-il fièrement. "Le pain est toujours frais, ce qu'on ne vend pas on ne le reprend pas pour le lendemain, on le distribue à tous ceux qui en veulent, aux SDF." Nono est d'une humeur lumineuse, et charitable, comme le veut la tradition. "Au ramadan si tu n'as rien ce n'est pas grave, tu viens manger avec nous". "Cela fait trois ans que je viens prendre mon pain ici pour le ramadan, nous dit un passant. Franchement, c'est le meilleur !"
“C'est la super grande fête”
"Tout le monde a plein de trucs à vendre. Le marché du ramadan c'est une fête, nous explique Hemi, qui vend des boissons sucrées et gazeuses. Et la rupture du jeûne ? "Alors là c'est la super grande fête, répond-il en éclatant de rire. Franchement la journée elle est tellement dure que dès qu'on trouve de la bouffe on se jette dessus. On boit du café ou du thé et on fume jusqu'à minuit !" Juste à côté la Halle aux viandes continue à faire tourner son commerce comme d'habitude, à ceci près que ce soir elle profite de l'affluence des grands jours. "La seule différence c'est qu'il y a plus de monde que d'habitude, explique Fourti, le gérant. C'est sûr, c'est bon pour les affaires." Lui a passé la journée au milieu des pièces de viande et de l'odeur de la nourriture... sans pouvoir y toucher. "C'est une ambiance, on a l’habitude”, relativise-t-il.
Une ambiance qui continuera d'animer le quartier jusqu'à la fermeture du marché à 20H45 avant que chacun ne retourne chez soi pour pouvoir enfin croquer dans du pain, tremper ses lèvres dans une boisson bien sucrée et faire la fête jusqu'à 4H du matin au plus tard. Commencera alors une autre journée de privation et d'attente pour tous les croyants qui vivent le ramadan comme une immense fête et qui se déroulera jusqu'au 14 juin.
le ton guilleret de cet article cache cependant un aspect moins reluisant de cette "foire à tout" qu'est la Guillottière en période de ramadan. Premièrement les nuisances sonores : toute la Métropole vient se ravitailler et outre les gentils coups de klaxons (nombreux et parfois loin d'être mignons), vous avez les préparatifs des magasins (travaux jusque tard dans la nuit), les hurlements des vendeurs, le surcroit de travail des éboueurs et agents de la ville (utilisant leurs engins archi-bruyants dès 6h30 tous les matins). Deuxièmement, la faune autour du quartier qui grossit : un mendiant tous les 5 mètres, des vendeurs de cigarettes illégales "malbolo", des étals sauvages partout (qui paient une patente ? qui éditent un ticket de caisse ? avec de la TVA dessus ?), etc. Troisièmement, la période de jeûne et la chaleur sont aussi propices à l'échauffement des esprits : vendredi dernier, une bagarre a éclaté entre fidèles, l'un avec un couteau se faisant chasser par l'autre, avec un coupe-coupe (qui sert officiellement à couper les pastèques). En pleine rue, devant des familles médusées, agitant son engin tel un sabre et tentant de le blesser (c'est passé à 3 centimètres), arrêté par le jet d'un panneau de travaux et une voiture qui lui fonçait dessus .. tout ça, les media n'en parlent pas .. aller visiter la rue Paul Bert et son marché pendant le Ramadan, c'est sympathique mais pour les habitants du quartier, cette période est indigne, sans aucun respect pour eux, et on attend donc la fin des "festivités" avec grande impatience. A noter le respect des commerçants et le calme de leurs terrasses, au soleil couché. Seul bon point à distribuer .. vraiment ..