Photographie anthropométrique d’Edmond Locard Non datée, collection Denise Stagnara, numérisée par les archives municipales de Lyon en 2006

10 archives à la loupe : Lyon, capitale de la police scientifique ?

Dans quel domaine notre ville a-t-elle été précurseure ? De quelles manières s’est-elle affirmée comme un centre d’innovations scientifiques mondiales, de vitalité économique, de création artistique ou d’avancées sociétales ? À l’occasion de son trentième anniversaire, Lyon Capitale lance une nouvelle rubrique en partenariat avec les archives municipales de Lyon. Ce mois-ci, nous replongeons dans les débuts de la police scientifique avec Edmond Locard, père fondateur lyonnais de la criminalistique moderne.

À la fin du XIXe siècle, plusieurs avancées dans l’identification des malfaiteurs vont révolutionner le mode opératoire de la police. C’est à Alphonse Bertillon, d’abord simple employé à la Préfecture de Paris, que l’on doit l’une des premières améliorations. Il a l’idée, début 1880, de mettre en place un système d’identification à partir de mesures spécifiques (taille, envergure, longueur et largeur de la tête, longueur du pied, longueur de la coudée, etc.). Ces informations, recensées sur des fiches, accompagnées de photographies (les fameux face-profil) aident à identifier un grand nombre de récidivistes. Le succès du “bertillonnage” également appelé “anthropométrie judiciaire” lui confère le titre de chef du service de l’identité judiciaire parisien. À l’époque, la question de l’identification des récidivistes est cruciale : la peine de flétrissure, consistant à marquer les criminels au fer rouge, est abolie en 1832 et les papiers d’identité n’existent pas (la carte d’identité n’est généralisée à tous les Français qu’en 1921). Le succès du système Bertillon l’érige en icône et sa technique est adoptée à l’étranger, jusqu’en Amérique du Sud.

Locard, pionnier français de la dactyloscopie

Autre avancée majeure : la dactyloscopie. Ce procédé d’identification d’un individu par ses empreintes digitales est mis au point en 1892 par Francis Galton, un parent de Darwin. Adopté dix ans plus tard par Scotland Yard, il supplée au bertillonnage. “Bertillon, au départ, est plutôt méfiant quant à la technique de Galton, qu’il voit comme un concurrent, mais il accepte d’insérer les empreintes des quatre premiers doigts sur ses fiches, qu’il ne considère néanmoins que comme un complément. Edmond Locard, plus jeune que Bertillon et alors assistant auprès du médecin légiste Lacassagne, voit lui cette technique comme bien plus efficace que l’anthropométrie judiciaire”, explique Amos Frappa, enseignant-chercheur, rattaché au Cesdip, à Paris. Edmond Locard va multiplier les prises de position en faveur de la dactyloscopie mais l’aura de Bertillon est telle que jusqu’à sa mort, en 1914, la dactyloscopie peine à s’affirmer en France.

Affaire Sommer, Caluire. Relevé d'empreintes, plaque de verre du laboratoire de police scientifique de Lyon. Sans date (fonds 126PH, en cours de classement aux archives municipales de Lyon)

Création du premier laboratoire de police au monde

Pourtant, dès 1910, Locard crée le laboratoire de police technique de Lyon, qui est hébergé dans les combles du palais de justice. Bien que doté de peu de moyens, il axe principalement la résolution de ses affaires sur la dactyloscopie. En juin 1910, cinq mois après la création du laboratoire, il réussit, sur la seule preuve d’une empreinte digitale, à faire condamner un accusé. Locard devient alors une sommité nationale voire internationale. “Le génie de Locard est d’avoir sciemment fait le pari de la dactyloscopie. Il a réussi par sa ténacité a gagné ses galons aussi bien sur la place médiatique que scientifique. C’est aussi le premier en France et au monde à avoir cherché à créer des principes et réfléchir sur l’histoire policière. Il pense la police scientifique en tant que science”, poursuit Amos Frappa.

Homme de terrain qui collecte, avec son équipe, des indices sur la zone de crime, Locard est aussi un formidable théoricien. Il établit la règle des douze points de minuties caractérisant une empreinte (toujours d’actualité), fonde en 1929 la Revue internationale de criminalistique, multiplie les publications dont un Traité de criminalistique en sept tomes et lègue à la postérité le principe de l’échange : un malfaiteur laisse forcément des traces sur une scène de crime et, en retour, aussi ténues soit-elles, en emporte. “Edmond Locard connaît sa plus grande phase créatrice jusqu’à la Première Guerre mondiale. Ensuite ses réflexions sont davantage des prolongements et une compilation de ses idées initiales”, modère Amos Frappa.

Une aura internationale

En 1922, l’affaire du “corbeau de Tulle” lui consacre une renommée mondiale. Il démasque Angèle Laval, qu’il soumet à une dictée de plusieurs heures. L’enquête inspirera à Henri-Georges Clouzot son film Le Corbeau. Des stagiaires du monde entier viennent en apprentissage chez lui et contribuent à diffuser sa renommée. C’est notamment le cas de Harry Söderman, un criminaliste suédois et l’un des fondateurs d’Interpol, qui travaille aux côtés d’Edmond Locard sur la balistique. 

Affaire Sobelet, balles”, étude balistique, plaque de verre du laboratoire de police scientifique de Lyon. Sans date (fonds 126PH, en cours de classement aux archives municipales de Lyon)

Sa correspondance, conservée aux archives municipales de Lyon, témoigne de liens tissés partout, avec des personnalités très diverses. 

“En France, à l’exception de Paris, les autres laboratoires de police de province (Marseille, Lille et Toulouse) sont directement ou indirectement liés à Locard”, souligne Amos Frappa.

Orateur né, Edmond Locard s’est tout au long de sa vie livré à des conférences avec la volonté de démocratiser la police scientifique. D’une culture monstre, il pouvait aussi bien disserter sur les célèbres affaires de la Renaissance ou contemporaines que sur les timbres ou la musique de Wagner. Au-delà du mythe Locard qu’il a contribué à forger en se mettant en scène, le père fondateur de la criminalistique moderne doit pourtant sa carrière à un coup du sort. “Destiné à la chirurgie orthopédique, c’est la mort subite du professeur Ollier qui le fait se réorienter auprès du médecin légiste Lacassagne, lui met le pied à l’étrier pour les enquêtes et crée le policier Locard”, conclut Amos Frappa.


Pour aller plus loin :

Conférence : Lyon, capitale policière ? – Mardi 15 octobre 2024 à 18 h 30, par Amos Frappa, aux archives municipales de Lyon, gratuit sans réservation

Ouvrage : Par l’encre et le sang, histoire de la police scientifique française, Amos Frappa, Afitt éditions, 2023.

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