Ralph Rugoff et Thierry Raspail ont dévoilé le contenu de la prochaine biennale d’art contemporain, qui ouvrira ses nombreuses portes dans l’agglomération lyonnaise le 10 septembre prochain. Le commissaire, la modernité, les artistes invités… Lyon Capitale vous dessine le panorama de l’événement.
Les rênes de la 13e Biennale d’art contemporain de Lyon ont été confiées à Ralph Rugoff. L’actuel directeur de la Hayward Gallery, centre d’art contemporain londonien, a été choisi “pour la qualité de sa programmation, la façon qu’il a de créer des bifurcations, de nouvelles connexions dans ses expositions et sa connaissance globale du moderne”, confie Thierry Raspail, directeur artistique de la Biennale. Dès son arrivée à Londres en 2006, rappelle celui-ci, le curateur présenta une exposition intitulée “The Painting of Modern Life”, qui réunissait Warhol, Hamilton, Richter ou encore Hockney.
Sommes-nous modernes ?
Succédant au commissaire islandais Gunnar Kvaran, qui avait conçu l’édition 2013 autour des formes narratives, l’Américain Rugoff s’est vu proposer le thème de la vie moderne.
“Pour les historiens, moderne désigne aussi bien la période néolithique que l’âge du bronze, mais il désigne aussi la querelle en Occident entre les anciens et les modernes à la fin du XVIIe siècle autour de Charles Perrault. La parabole moderne s’est depuis considérablement élargie avec Baudelaire, Benjamin, Chaplin, Tati, et a été actualisée par Greenberg qui en a fait une interprétation formaliste encore prégnante. Le terme disparaît au milieu des années 1980 avec la fin des grands récits et ce qu’on croit être la fin de l’histoire. Le moderne actuel est un moderne inachevé, qui ne croit plus du tout à ses promesses de bonheur. Nous ne sommes pas modernes, nous sommes désormais néo-modernes, alter-modernes, pro- ou anti-modernes, folk-modernes ou modernes tardifs”, explique Thierry Raspail.
“Un présent hanté par le passé”…
Une fois rappelé le flou du terme, comment traiter et quoi dire de la modernité ? “Le terme moderne exhale un parfum d’une denrée alimentaire qui aurait dépassé sa date de péremption. Car, depuis que je suis à la l’université, on annonce la fin de l’ère moderne et du modernisme. Le concept modernisme est devenu fantomatique. En tant qu’individu et commissaire, ce qui m’intéresse c’est de travailler dans le maintenant, le présent. Lorsque l’on parle de moderne, il a plusieurs connotations. On peut s’imaginer les années 1920 ou 1960 mais on peut le prendre au sens de “nouveau”. “Moderne” est nimbé d’incertitude, comme l’est notre relation entre présent et passé. Le titre de cette biennale reprend cette idée d’un présent hanté par le passé. Voilà ce qui semble être un point de départ tout à fait intéressant pour une exposition d’art contemporain”, estime Ralph Rugoff.
L’image même de cette biennale (l’affiche que vous verrez bientôt fleurir en ville) est extraite d’une vidéo d’un artiste taïwanais, Yuan Goang-Ming, qui a été tournée dans la semaine qui suivit la catastrophe de Fukushima. Devant ce décor de carte-postale, deux réacteurs nucléaires surplombent une plage de parasols. Le présent dit toute sa précarité et se trouve ici hanté par le spectre des décisions passées.
… mais “rien de lugubre ou de déprimant”
Les artistes aborderont précisément les sujets d’actualité tout aussi hantés par l’histoire ou la politique du passé, les problématiques ancrées dans la réalité du monde d’aujourd’hui, comme le post-colonialisme, les disparités croissantes entre les riches et les pauvres, l’immigration, l’identité nationale, l’impact environnemental, la société de consommation, l’intrusion et le conditionnement des nouvelles technologies dans nos vies, etc.
“Ce sont des problématiques sérieuses mais rien de lugubre ou de déprimant, bien au contraire ! Les artistes apportent un point de vue qui est empreint d’ingéniosité, de fraîcheur, de vitalité, à tel point que visiter cette biennale ne pourra qu’insuffler de l’énergie, du dynamisme. Ce qui est déprimant, c’est de feindre d’ignorer les problèmes qui sont autour de nous. L’art est un moyen d’aborder ce que j’appellerais la nouvelle normalité. Quelle qu’elle soit”, souligne Ralph Rugoff.
“Saturé de biennales” ?
“Dans un monde déjà saturé de biennales, comment en justifier une autre ? s’interroge le curateur américain. Une biennale est une horloge. Elle rythme des événements. On peut dire qu’elle a gardé la trace de l’évolution des langages artistiques dans les différentes régions du monde, des problématiques du quotidien abordées par les artistes. Le cadran comporte 12 heures. Il s’agit de la 13e édition. On peut dire que nous sommes à la 13e heure, on sort du cadran, de notre acception traditionnelle du temps. Une biennale, c’est aussi l’occasion de générer, de faire advenir de nouvelles productions artistiques. Ce sera le cas des artistes présentés, qui vont produire de nouvelles œuvres ou reconfigurer des travaux récents.”
Pour cette édition, 63 % des œuvres seront inédites et produites par la Biennale (contre 80 % il y a deux ans). “La vie moderne” se déploiera en 3 expositions, réparties entre le musée d’Art contemporain, la Sucrière et le musée des Confluences.
Peu de femmes et beaucoup d’Européens
Le jour de la présentation de la biennale à la presse, une dizaine d’artistes français sélectionnés par Ralph Rugoff lui ont succédé au micro. Que des hommes. Les réactions des journalistes féminines ne se sont pas fait attendre : “Où sont les filles ?” Évidemment pas absentes de la liste, elles sont clairement moins bien représentées : 20 contre 38. Des chiffres à l’image de la sous-représentation féminine dans l’art contemporain.
Quant à l’origine géographique des artistes, si quelques Américains et Asiatiques seront présents parmi les 28 pays invités, c’est une majorité d’artistes européens ou résidant en Europe qui sera réunie. Parmi les Français (à hauteur de 20 %), Ralph Rugoff a pris le parti de sélectionner quelques valeurs adoubées par le milieu de l’art contemporain français : Camille Henrot (Lion d’argent à la biennale de Venise), Camille Blatrix (prix de la fondation Ricard 2015), Julien Prévieux, Cyprien Gaillard et Tatiana Trouvé (respectivement prix Marcel-Duchamp 2014, 2010 et 2007).
Le cru, s’il ne relève pas d’une originalité folle, assure une certaine qualité au vu des pedigrees de chaque artiste. Un invité prestigieux rejoint in extremis la liste : Anish Kapoor (figurant dans les collections du Frac Rhône-Alpes et du Mac), qui présentera un projet dont on ne connaît pas encore la teneur dans l’architecture lecorbusienne du couvent de la Tourette.
Satellites dans l’agglo
Parmi les événements qui irrigueront toute l’agglomération lyonnaise, on notera “Ce fabuleux monde moderne”, expo plus historique, commissariée par Thierry Raspail à partir des collections du Mac, qui présentera 30 objets à l’hôtel de région, avec des artistes comme Marina Abramovic, Ed Ruscha ou Nam June Paik.
“Rendez-vous 15”, à l’IAC de Villeurbanne, associera 10 jeunes artistes issus des écoles d’art de la région à 10 artistes qui ont participé à des biennales internationales.
Veduta, “une école de l’amateur”, selon Thierry Raspail, relèvera d’une collaboration entre la collection du MAC et la participation active des habitants.
Enfin, Résonance proposera des focus dans les lieux du réseau culturel régional tels que Bertille Bak à l’Espace arts plastiques de Vénissieux ou Karim Kal au Centre d’art contemporain de Lacoux.