Alors qu’il fête en tournée ses 20 ans, notamment à Lyon ce mardi, il suffit d’un bref retour dans le temps pour s’apercevoir que ce que le groupe de Brian Molko eut de plus intéressant reste ancré dans une genèse luxembourgeoise douloureuse. Dont il ne reste plus grand-chose aujourd’hui dans l’ADN du groupe.
S’il fallait se pencher sur les grands noms dont a accouché le Luxembourg, ce pays niché au cœur de l’Europe dont on se demande à quoi il sert à part en être le coffre-fort, on serait bien en peine de citer plus de dix noms : le peintre Joseph Kutter, les cyclistes Charly Gaul, Andy et Fränk Schleck, l’immense skieur Marc Girardelli (en réalité autrichien naturalisé), les politiciens Jacques Santer, Viviane Reding et, dans un genre plus controversé, Jean-Claude Juncker, des têtes couronnées héritant bizarrement d’une appellation de hibou (dernier en date, le grand-duc Henri) et leur plus grand fan, le sémillant Stéphane Bern. À cette liste, on pourrait ajouter le musicien et chanteur anglo-américain Brian Molko, leader de Placebo. Pas sûr en effet que si ce dernier n’avait pas passé son enfance au Luxembourg sa vocation de musicien et la naissance de Placebo fussent advenues.
Rock spasmophile
Car c’est au rythme d’une adolescence à se pendre dans cette Lorraine avec des banques et de l’essence à bas prix que Molko a vu poindre son talent et ses ambitions. S’il n’habita pas à proprement parler le Luxembourg, où son père banquier exerçait, mais dans la province belge de Luxembourg, à Longeau, ville frontière avec le Grand-Duché, il s’y rendait en revanche chaque jour (ce qui suffit à sa peine), d’abord à l’École européenne, puis à l’école internationale américaine où il fut transféré suite au harcèlement dont il était victime dans la première (on l’y pendait régulièrement dans le vide par les pieds). Molko parlera longtemps de cette expérience luxembourgeoise, de ses élans artistiques contrariés par une famille de born again christians et des courts-circuits que cela a provoqués en lui. De cet environnement, de cette opposition à un carcan valant camisole de force est sans doute né le rock spasmophile farci d’angoisses adolescentes déguisées en riffs du premier album (sans titre) de Placebo, le groupe formé quelques années plus tard à Londres, remède tout trouvé à ce mal-être où très tôt perce l’androgynie et le jeu avec le genre.
Minettes gothisantes
Le décollage est presque immédiat tant l’urgence, la sensibilité de Placebo, la voix déchirante d’un Molko coincé dans l’adolescence ont tout de suite touché au cœur les branchés du rock, des critiques à David Bowie, en première partie duquel Placebo remplacera pour une tournée entière un Morrissey démissionnaire. Molko se révèle alors aussi doué pour fabriquer sans couture un univers fait autant de petits tubes doloristes et soniques que de morceaux planants et expérimentaux, d’où jaillit comme un prurit une sincérité sans retenue. Le disque suivant, Without You I’m Nothing, sera celui de la véritable explosion d’une popularité qui ne cessera de croître, mais précédera un coup d’arrêt artistique. Placebo devient moins inventif, s’autocaricature à mesure que le succès s’accroît et, un peu comme Cure en son temps (la personnalité de star de Molko y étant pour beaucoup), se taille une réputation de groupe à minettes gothisantes. Avec le temps, Placebo est devenu de ces groupes confrontés au paradoxe de n’avoir plus le moindre intérêt musical tout en remplissant des stades (ou l’inverse). Comme si l’horizon des angoissantes plaines luxembourgeoises s’était refermé sous l’effet placebo de la gloire.
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