Focus. À l’heure où l’on se morfond sur l’incapacité des Français à parler “étranger” et sur le déclin de la langue française, deux groupes lyonnais, Music Is Not Fun et Déjà Vu, sortent simultanément l’anglophone British Rendez-Vous et le francophone Roulette Russe. Deux approches différentes du rock british qui nous ramènent à une very old question : “Harraps, mon beau Harraps, Anglais ou Français, qui est le plus rock ?” Les deux my general.
Version polyglotte du proverbial “Passe ton bac d’abord”, un récent reportage de France 3 consacré au phénomène pop Music Is Not Fun (ou MINF), fournissait ce conseil à l’usage du jeune : “apprends l’anglais, ça pourra toujours te servir”. Sous entendu : “au moins, si tu loupes ta deuxième année de droit, tu pourras toujours monter un groupe de rock sauce anglaise”, cette fameuse sauce HP que chante d’ailleurs MINF sur son album. Ça tombe bien, en France, on a toujours été aussi mauvais en anglais qu’en rock n’roll, recroquevillés qu’on est sur nos textes et notre grammaire irréformable. Ah, les Français ! ce peuple monoglotte incapable de comprendre que son tailleur est riche, qui renâcle devant une Version Originale et préfère quand c’est Jacques Balutin qui fait la voix de Starsky.
Il n’y a pas si longtemps, les chanteurs hexagonaux, pas aidés par les quotas radiophoniques de la loi Allgood, ne braillaient d’ailleurs qu’en français. Puis la génération “rock & folk” montante s’est affranchie de l’habitude franchouillarde. Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres jeunes groupes, MINF, quatuor pop, se rêve et se chante en anglais, à coups d’allers-retours en shuttle musical. Comme cette beatlesienne Marseillaise en ouverture, qui veut tout dire : “on n’a jamais voulu faire croire qu’on était Anglais, mais c’est notre culture. On écoute des artistes anglais, comme les Kinks, Bowie, Blur, des enfants de Londres”, précisent-ils. Bijou de pastiche grand-breton, British Rendez-Vous cajole les riffs, décortique la production, mâchonne les accents de la fantasmatique Albion rock. Et même plus : “Au-delà des clichés du rock même, c’est l’Angleterre et sa culture qu’on pastiche, on est comme des touristes conquis par l’Angleterre”.
L’Angleterre en touristes, très peu pour Déjà Vu, autre groupe anglophile de Lyon. Comme le disent les MINF : “nul besoin de connaître l’anglais pour aimer la culture anglaise”. Encore moins, pour Déjà Vu, de le chanter. Eux, ont choisi de célébrer leur dear rock anglais dans la langue de Molière, ou de Vincent Delerm si on préfère, et l’expliquent simplement : “Chanter en Français était une nécessité artistique : celle de raconter des choses de manière précise. Être Français et chanter en anglais, ça relève de la pose. Ça peut paraître frustrant au regard de nos références anglo-saxonnes mais pour nous l’essence du rock c’est l’honnêteté.”
Chez Déjà Vu donc, point de Penny Lane ou de Piccadilly dévalée en Mini, non, on évoque le 3 bis rue Ferrachat et on sait pourquoi : “Les Kinks chantaient Waterloo Sunset parce que c’était leur vie. On n’imagine pas un groupe allemand chanter dans un mauvais français la gloire de la Tour Eiffel avec un béret et une baguette. Baragouiner n’importe quoi en anglais parce que tout le monde se fichera du texte, c’est une facilité.” Cela permet en effet à MINF de chanter “Do You Love My Shoes ?” sans que quiconque ne soit amené à trouver ça un peu léger. Bon d’accord, mais so what ? N’est-ce pas aussi l’essence de la pop anglaise ? Le fait que justement, des chansons des jeunes Beatles aux textes crétino-cryptiques d’Oasis, les paroles on s’en fout un peu, du moment qu’elles font résonner la musique.
Jardin anglais
De fait, entre rock anglais copié-collé et chanson réaliste, MINF et Déjà Vu cherchent chacun une troisième voix, chacun la sienne : l’un en surjouant la chose avec envie, se gorgeant de clichés bien amenés comme on s’éclate au Polaroïd devant la statue de l’Amiral Nelson. L’autre en explorant dans sa langue une forme de légèreté pop originelle. L’un et l’autre, y prennent un risque, celui de se voir rejeter par les puristes (les filles, elles, adorent).
“Beaucoup de professionnels issus de la génération du rock alternatif ne nous aiment pas parce qu’on cherche à faire des morceaux de 3 minutes avec refrain”, déplore Déjà Vu. À cela s’ajoute pour eux le poids de “notre culture littéraire et notre héritage “chanson française”. Chez les deux groupes, quelle que soit la manière, perce en réalité la volonté commune de nourrir les racines de leur “jardin anglais”. Le reste n’est que littérature et non plus pop music. Surtout quand on sait que certains membres de Déjà Vu officient au sein d’un projet récréatif et anglophone baptisé Lauren Stuart quand MINF annonce déjà comme un ultime clin d’œil un album en français : miroir de British Rendez-vous, baptisé Rendez-vous Français. Is it a joke ?… Attendre et voir.
Music Is Not Fun, British rendez-vous (PBOX/Discograph).
Le 27 novembre à la Fnac Bellecour et le 2 décembre à l’Épicerie Moderne.
Déjà Vu, Roulette Russe (MVF Records).
Sortie Nationale le 9 novembre.
Le 27 novembre à la Marquise.
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