Gilberto Gil est à bien des égards une légende (très) vivante. À l’occasion de son concert à Lyon ce lundi, portrait d’une icône politico-culturelle présente sur tous les fronts musicaux depuis un demi-siècle. Un compositeur de génie d’une infinie finesse.
Au fil des ans, Gilberto Gil est devenu un invité privilégié des festivals de jazz. C’est pourtant dans le rock et la pop qu’il a initié avec quelques autres une révolution brésilienne mais également mondiale.
Gil et Veloso, les Lennon et McCartney brésiliens
On dit souvent, c’est même devenu un cliché, que les régimes autoritaires ou les périodes sombres de l’histoire engendrent de grandes révolutions esthétiques. Et c’est bien en pleine dictature de la junte militaire que Gilberto Gil et Caetano Veloso, les Lennon et McCartney brésiliens, ont injecté dans la musique brésilienne des éléments de pop, au moment même où celle-ci rayonnait d’inventivité infinie (l’influence de groupes comme les Beatles, alors en pleine bourre, est immense).
Il s’agit pour les uns d’un crime de lèse-majesté incompris : instruments électriques et looks excentriques détonnent au milieu des chanteurs bien mis de la bossa-nova traditionnelle, et les jeunes loups sont sifflés comme le fut Dylan lorsqu’il brancha sa guitare. Pour d’autres au contraire, c’est l’une des grandes avancées de la musique mondiale – matérialisée, avec Veloso toujours et Os Mutantes, sur le légendaire album Tropicalia ou Panis & Circencis, manifeste d’un tropicalisme qui finit tout de même par se répandre comme une traînée de poudre.
Psychédélisme
Car il y a aussi quelque chose de politique dans cette mouvance qui s’oppose et qui impose. S’oppose au pouvoir en place et impose une revendication à la ou aux libertés et la fin d’un certain nationalisme musical.
Gilberto Gil, activiste politique notoire, est incarcéré plusieurs mois pour cause de goût prononcé pour les substances psychédéliques – un plaisir guère goûté dans le contexte brésilien de l’époque et qui fournit un excellent prétexte aux autorités. Ce sont ces mêmes substances qui lui permettent sans doute d’expérimenter musicalement, en tout cas de chercher de nouveaux horizons.
Il en trouve également à Londres, où il atterrit, comme Veloso, en 1969, travaillant avec des maîtres du psychédélisme comme les Pink Floyd ou le hautement lysergique Incredible String Band. Il sera même le seul Latino-Américain à participer au festival de l’île de Wight, le Woodstock britannique.
Écologisme
Lorsque Gilberto Gil revient au Brésil, le tropicalisme, digéré, a fait son temps et l’ancien enfant noir du Nordeste se tourne vers la musique africaine, s’essayant à la fusion, lorgnant vers l’afrobeat, et plus tard vers le reggae (sa reprise de No Woman, No Cry en portugais contribuera à introduire le reggae au Brésil à la fin des années 1970).
Durant la décennie suivante, c’est surtout la politique qui maintient Gilberto Gil sur le devant de la scène. Et son action écologiste et sociale au sein du Partido Verde. Ambassadeur des Nations unies, responsable de la culture à la mairie de Salvador. L’événement se produit en 2003 quand, Lula à peine élu, Gil est nommé ministre de la Culture – une chose proprement impensable quarante ans plus tôt.
Gilberto Gil est, après Pelé, le deuxième Noir seulement à accéder à des responsabilités au Brésil. Et, comme pour le meilleur footballeur de tous les temps, cela finit de souligner la trajectoire d’un pionnier qui à 72 ans est toujours sur les routes – ce lundi, à l’Auditorium, en solo – de cette musique du monde qu’il a contribué à faire exploser.