Le starship commander Alfonso Cuarón va encore prendre du galon avec Gravity, un space-movie de haute volée qui place le spectateur au cœur d’une expérience en apesanteur époustouflante.
Depuis Y tu mamá también en 2001 (prix du meilleur scénario à Venise et nommé aux Oscars dans la même catégorie) et le troisième volet de Harry Potter en 2004, élu meilleure adaptation par son auteur J. K. Rowling et par les potterphiles, Alfonso Cuarón figure parmi les réalisateurs mexicains les plus importants, aux côtés de ses compatriotes et amis Guillermo del Toro et Alejandro González Iñárritu. L’ascension sera sans doute plus vertigineuse encore après le coup de maître qu’il vient de commettre avec le blockbuster Gravity.
Pas de space chichi
“Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.” Cette peur du vide exprimée en son temps par Pascal, Cuarón va l’exploiter à fond et nous la faire ressentir dès la séquence d’ouverture de Gravity. Les trois astronautes de l’Explorer, station orbitale américaine pilotée par le chevronné et bavard Matt Kowalsky (George Clooney), sont de sortie, le temps d’une réparation qui va vite tourner au cauchemar. Le tout réalisé en plan-séquence d’une vingtaine de minutes, impressionnant de virtuosité et de réalisme, donnera le ton du film. L’espace en sera le lieu exclusif. Point de duplex avec Houston en dehors d’une connexion radio capricieuse, point de flash-back liant les personnages à un contexte familial ou autre. Rien que le néant et l’individu face à lui. Spaciophobes, s’abstenir, donc. Car très vite le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock, simple, peu maquillée, qui offre là une de ses meilleures performances), dont c’est le premier vol orbital et dont on apprend qu’elle ne sait pas piloter, va se retrouver seule au milieu de l’espace à mener le navire de ce survival.
Le retour sur la planète bleue, d’autant plus proche (toujours dans le champ de la caméra ou se reflétant dans les visières des casques) qu’elle semble inaccessible, est sans cesse compromis. Ces situations critiques en enfilade, nous les partageons les mains cramponnées au siège. Car la réussite du film tient à ses incursions immersives, avec ses plans en caméra subjective appuyés par la 3D (largement au-dessus du lot des productions du moment), les jeux sonores subtils entre liaisons intra- et extra-casque, entre in et off station orbitale, au point de confondre l’aquatique et l’aérien, et la traduction constante de la solitude spatiale et la mort imminente par des scènes touchantes sans (trop) verser dans le lacrymal. L’image, d’une beauté stupéfiante, la précision des effets spéciaux et des mouvements de caméra (le système de captation filmique inventé par Cuarón et son équipe ont fait pâlir d’envie le grand James Cameron, c’est dire) en font une œuvre d’orfèvre, à la chorégraphie parfaite et sans chichi.
That’s entertainment
Moins métaphysique que 2001 : L’Odyssée de l’espace du génial Kubrick (1968), sans avoir vraiment eu la prétention de l’être – les rares plans qui caressent cette volonté sont un peu gauches, comme lorsque Bullock flotte en position fœtale devant des câbles semblables à des cordons ombilicaux –, et moins SF que Moon (Duncan Jones, 2009), Gravity se veut plus réaliste. Voire documentaire dans la description détaillée de l’intérieur des stations orbitales, mode d’emploi inclus, la pluie de débris comme il en existe tant dans la poubelle spatiale qui cause la perte de l’Explorer, jusqu’aux noms des stations existantes (Soyouz et Tiangong), alors que le film a essentiellement été réalisé grâce à des technologies virtuelles. Mais ici la technique ne fait pas tout.
Alfonso Cuarón parvient à produire un spectacle grand public à couper le souffle, avec des têtes d’affiche plus qu’à la hauteur (le duo tragi-comique entre la fragile Sandra Bullock et le cabotin George Clooney fonctionne parfaitement), tout en instillant une réflexion sur la vie avec une simplicité qui confine au génie. Le retour à la gravité de la dernière scène n’a jamais été aussi lourd de sens, ni le retour à notre réalité si léger.
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Gravity, d’Alfonso Cuarón, 2013, 1h30. Avec Sandra Bullock et George Clooney. Sortie en salles ce mercredi 23 octobre.