L’auteur de BD québécois Guy Delisle est connu pour ses récits autobiographiques, Les Chroniques de Jérusalem, Schenzen ou encore Pyongyang. Avec S’enfuir – Récit d’un otage, paru en septembre, il a décidé pour la première fois de raconter l’histoire d’un autre. Celle de Christophe André, pris en otage en 1997 alors qu’il effectuait une mission pour MSF dans la région du Caucase. L’ex-otage et l’auteur sont venus présenter l’album à Lyon le 21 février.
“Cet album, c'est l'histoire d'une rencontre”, a déclaré Christophe André ce mardi salle des Rancy, expliquant qu’il n'avait ni l'envie ni le besoin d'écrire lui-même son histoire. C'est en feuilletant Libération en 1997 que Guy Delisle découvre l'histoire hors du commun de Christophe André. Fasciné par celle-ci, il le contacte et les deux hommes se rencontrent autour d'un déjeuner. Puis se côtoient via Médecin sans Frontières (MSF), lorsque Guy Delisle suit sa femme qui travaille pour l'ONG. Christophe André lui a fait confiance et a partagé son histoire avec lui.
L’histoire commence en 1997, lorsque Christophe André se fait kidnapper lors d'une mission pour MSF en Tchétchénie. La région, régie par “une société clanique” est particulièrement instable. Mais Christophe André partait en connaissance de cause : “Rester ou partir, c'est une question qu'on se pose tous les jours”, dit-il. Cette prise d'otage a été la première crise de cette ampleur qu'a connue MSF. Après trois mois de captivité, Christophe André est parvenu à s'échapper, le jour où son geôlier a oublié de l'attacher.
Raconter l’enfermement
Si l'album a mis quinze ans à prendre forme, c'est parce que l'auteur a dû s'approprier une histoire qui n'était pas la sienne, afin de comprendre et de pouvoir transposer ce qui se passe dans la tête d'un otage. “C'est difficile de faire parler quelqu'un, mais nous avions une méthode de travail où Christophe relisait les pages que je lui envoyais au fur et à mesure”, explique Guy Delisle. “Il a tâtonné au début, puis nous sommes parvenus à une osmose, il est arrivé à peindre ce que j'avais dans la tête”, ajoute Christophe André.
C'est ainsi qu'au travers des 420 pages de l'album Guy Delisle parvient à installer une sensation d'isolement chez le lecteur, en dessinant le kidnapping, l'évasion et surtout les 111 jours de captivité de Christophe André. La majeure partie de l'ouvrage est centrée sur ces trois mois durant lesquels Christophe André était confiné dans une pièce vide, sans lumière. Pour Guy Delisle, l'intérêt est de comprendre les “étapes psychologiques et la résistance que devait mener Christophe”. “Je voulais qu'on sente chaque jour passer”, explique-t-il. Des jours longs et monotones pour Christophe André.
Le temps comme bouée de sauvetage
“Le pire, c'était de ne plus savoir quel jour venait de s'écouler”, raconte Christophe André. Quand on est détenu pendant plus de trois mois, les repères se perdent “car ce sont les autres qui décident à votre place”, précise-t-il. Christophe André a alors pratiqué un exercice pour lutter contre le désœuvrement : compter les jours. “Quand il ne se passe rien, ça permet de rester concentré sur le plus important : sortir de là”, explique-t-il. Il raconte que, deux jours avant son évasion, ses geôliers l'ont pris en photo avec le journal Libération dans les mains. Lorsqu'il a vu la date du quotidien, il se rappelle avoir eu la sensation de “gagner” : “J'ai bien compté. Ça a été une victoire de ne pas avoir perdu le fil. Ça permet de rester dans l'action.” Compter le temps est sûrement ce qui lui a permis de pouvoir s'échapper, selon lui.
Si l'otage a pu tenir, c'est aussi par son aversion pour ses ravisseurs. Le manque de dignité, attaché à un radiateur, lui est difficile à vivre. “Je les déteste, sur le plan mental, c'est rafraîchissant”, se rappelle Christophe André. “C'est essentiel de ne pas essayer de communiquer avec eux : ne rien demander, pour ne rien leur devoir. Si vous vous dites qu'en face c'est des copains, vous perdez la partie”, explique-t-il.
L’humanitaire comme vocation
Christophe André s'est fait kidnapper lors de sa première mission pour MSF. Cela aurait pu le vacciner de l'humanitaire, mais au contraire. “Je ne me suis jamais posé la question si je repartirais avec MSF, tellement c'était évident”, confie-t-il. Quand on lui demande s'il a gardé des séquelles de sa captivité, il plaisante : “Oui, des énormes séquelles, c'est très dur de vivre.”
Aujourd'hui, Christophe André dit prendre plaisir à raconter cette histoire et que son évasion a agi comme une thérapie sur lui : “J'ai eu le sentiment que j'avais gagné.” À son retour en France, il a pris six mois de vacances puis il est reparti au Laos.