Il y a 20 ans : Les 35 heures avant l’heure

IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – Côté 1998, les célèbres 35 heures se faisaient lourdement désirer. De nombreux patronats lyonnais n’ont pas attendu l’aube des années 2000 pour les appliquer à une échelle plus locale, conciliant ambitions des employeurs et des employés.

Lyon Capitale n°159 du 24/02/1998, © Lyon Capitale

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Lyon Capitale n°159 du 24/02/1998, © Lyon Capitale

2 ans - plus ou moins - avant l’application de la loi Aubry, des entreprises lyonnaises précédaient d’ores et déjà ce qui s’annonçait comme un tournant majeur du monde du travail. 35 heures, la durée de travail utopique, voire chimérique, devenait un poil plus accessible pour les travailleurs. Çà et là, les patronats et syndicats de la capitale des Gaules y fabricotaient une version “non officielle”, souvent par souci de pragmatisme et, plus principalement, dans l’optique de concilier les intérêts des employeurs et des employés. Horizon 2002, les 35 heures substituent les 39, obligatoires dorénavant. S’ensuivent, sur les prochaines décennies, doutes et critiques – d’Emmanuel Macron entre autres – tandis que le dispositif reste, pour sa part, pilier des conditions de vie du travailleur contemporain.

Lyon Capitale n°159 du 24/02/1998 p. 11, © Lyon Capitale

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Lyon Capitale n°159 du 24/02/1998 p. 11, © Lyon Capitale
Un article de Lyon Capitale n°159 paru le mercredi 24 février 1998, signé par Sandrine Boucher

Les 35 heures avant l'heure

Certaines entreprises lyonnaises n'ont pas attendu le vote du projet de loi Aubry pour trouver des solutions permettant à leurs employés de travailler moins et, très souvent, de gagner autant. Patronat et syndicats, violemment opposés au niveau national, parviennent à tailler des accords "sur mesure", adaptés aux particularités locales de chaque activité et conciliant les intérêts de tous.
Moins de travail, autant d'argent et plus de temps pour faire autre chose... Avec l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi Aubry récusant la durée légale du travail à 35 h, le tournant du siècle semble subitement plus sympathique, du moins pour ceux qui possèdent un emploi, les autres ne pouvant qu'espérer que la réduction du temps de travail de ceux qui en ont, leur offrira, comme promis, la possibilité de pointer ailleurs qu'à l'ANPE. Si cette initiative suscite encore des débats passionnés, certaines entreprises ont déjà discuté, voire adopté une diminution des horaires de leurs employés et une nouvelle organisation du travail qui respecte à la fois les intérêts des salariés et de ceux qui les payent. 120 établissements en Rhône-Alpes ont ainsi signé depuis 1992 des conventions "offensives" dans le cadre de la loi Robien qui ont permis de créer un millier d'emplois nouveaux. Contraires au niveau national, les prises de positions des organisations patronales et syndicales sont volontiers plus pragmatiques au moment des négociations d'entreprise. Certains patrons nous disent clairement : "c'est bien gentil d'être officiellement contre la réduction du temps de travail mais moi j'y trouve mon intérêt". Les entrepreneurs comprennent qu'économiquement une plus grande souplesse dans l'organisation du travail leur rapportera plus que la maîtrise des salaires et les syndicats acceptent plus facilement une certaine variation des horaires pour faire face à une activité accrue si elle induit de meilleures conditions de vie et de travail, des créations ou des sauvegardes d'emplois et le tout, sans baisse de salaire", explique Michel Anger, chargé de mission au sein d'Aravis (1), agence régionale qui a aidé près de 250 entreprises rhônalpines à réduire et réorganiser le travail. L'une d'entre elles a ainsi pu mettre en place la semaine de 4 jours, une autre espère gagner en productivité avec des salariés moins fatigués et plus motivés ce qu'elle perdra en rémunération des 17 nouveaux employés.

Horaires réduits, organisation modernisée

Bien souvent, les nouvelles possibilités légales de réduction des horaires et les aides qui les accompagnent sont les éléments déclencheurs d'une modernisation nécessaire, voire indispensable, du travail au sein des entreprises. "Notre organisation (8h-12h/13h30-17h30) était ancienne et inadaptée aux impératifs actuels de production qui exigent d'être plus réactifs par rapport aux demandes de nos clients", estime Olivier Secchi, responsable financier d'Inpal, une PME lyonnaise spécialisée dans l'isolation de tuyaux de chauffage qui compte 34 salariés. "La mise en place de deux équipes qui occuperont l'atelier de 7h du matin à 18 h en période d'activité basse et de 5h du matin à 21h en période haute nous permet de réduire les horaires sans baisse de salaire, d'employer 8 personnes supplémentaires, dont 6 en CDI et de mieux utiliser nos équipements." lnpal appliquera le 1er avril prochain cet accord de réduction du temps de travail négocié pendant deux mois. La clef de la réussite ? L'information et la discussion en petits groupes de 5 ou 6 personnes qui permettent à chacun d'intervenir plus facilement qu'en vaste comité pour poser des questions ou exprimer des attentes. Quant aux aides financières que la société a obtenues au titre de la loi Robien ou du complément régional (voir encadré), elles ont permis d'emporter la décision auprès de la direction. Ce soutien, qui permet d'annuler les risques liés à cette petite révolution, compensera le temps nécessaire pour le rodage de la nouvelle formule et les frais entraînés par la formation des nouveaux arrivants. Dans le monde du service, la diminution et l'annualisation des horaires ont également fait des adeptes. Botanic, une enseigne de magasins spécialisés dans le jardinage, a mis en place en septembre sur son site d'Ecully un programme pilote de réduction du temps de travail, aujourd'hui appliqué dans l'ensemble du groupe. Soumis depuis longtemps à des variations saisonnières et prévisibles de leur activité, la nouvelle organisation permet aux salariés de ne travailler désormais plus qu'un dimanche sur trois au lieu d'un dimanche sur deux, de prendre trois jours de congés par semaine pendant les périodes creuses, soit plus de six mois de l'année, et deux, ou exceptionnellement un seul jour de repos, en plein boom printanier. 'Certains préfèrent être en congé le mercredi pour voir plus souvent leurs enfants, d'autres optent pour trois jours en continu. Plus les envies sont différentes, plus les plannings sont faciles à gérer", témoigne un des salariés du magasin, ravi de cette nouvelle organisation qui lui permet de dégager du temps pour pouvoir en passer plus avec son fils.

Sans concertation, c'est le clash

Ce sont des raisons familiales similaires qui ont conduit Catherine Grégoire, technicienne de production chez Boiron, à opter pour le temps choisi avec réduction de salaire, proposé depuis 14 ans par l'entreprise de fabrication de produits homéopathiques installée à Sainte-Foy-lès-Lyon. Sa semaine dure quatre jours, du lundi matin au jeudi soir, pour un total de 32h. "Le vendredi, je pouvais emmener ma fille à l'école et rencontrer les enseignants, me débarrasser des corvées ménagères et être ainsi disponible en soirée et le week-end pour voir mes enfants, mon mari, me détendre ou faire du sport. En plus, ma situation n'est pas figée. Je peux revenir à tout moment à temps complet. C'est très rassurant. Quand j'en parle autour de moi, on me fait parfois remarquer que je suis privilégiée. Je connais certaines personnes qui pourraient travailler moins sans que cela pose de problème de budget mais leur entreprise ne le permet pas." Les choses ne se passent pas toujours aussi bien, faute de concertation et d'accord préalable des employés. Depuis mercredi dernier, les salariés de la Compagnie Générale des Eaux, encadrement compris, sont ainsi en grève pour protester contre un plan de réduction du temps de travail avec baisse des salaires, blocages des carrières et, surtout, sans création significative d'emplois. "La CGE n'est pas une entreprise en difficulté. Avec ses 14 000 salariés, le groupe est le premier employeur privé de France. Il fait de superprofits, l'action n'a jamais été aussi haute et on vient de racheter un réseau de communication. La CGE doit donner l'exemple. La création annoncée d'une centaine d'emplois représente 0,7 % de l'effectif. Si toutes les entreprises françaises faisaient pareil, on obtiendrait seulement 200 000 embauches en France. Ce n'est pas vraiment une façon efficace de lutter contre le chômage", argumente Roland Nino, secrétaire général de la CGT pour la CGE de Lyon. La Générale des Eaux est pourtant l'une des premières à avoir fait passer, dès 1981, l'ensemble de son personnel à 36 heures par semaine. Or, c'est justement ce qui l'empêche aujourd'hui de bénéficier des aides de l'État, la diminution d'une heure de travail hebdomadaire n'étant pas suffisante... Le débat sur la réduction du temps de travail est loin d'être clos.
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