L’État sauvera-t-il la prison des enfants juifs d'Izieu ?

Un monument historique partiellement protégé, la vente d’une partie du site à l’université Lyon 3 Jean-Moulin qui traîne et des découvertes qui ne devraient pas aider la signature du contrat : la prison de Montluc est aujourd’hui au centre des attentions. Présent à Lyon le 14 novembre pour inaugurer la nouvelle exposition permanente du CHRD, Kader Arif, le ministre délégué aux Anciens combattants, a profité de son voyage pour visiter le mémorial de la prison de Montluc. Première étape vers une sauvegarde de l’intégralité du site ?

Forte d’un siècle d’histoire, la prison de Montluc, située dans le 3e arrondissement, est aujourd’hui essentiellement connue pour avoir été l’un des outils de la barbarie nazie à Lyon. Jean Moulin, Marc Bloch ou encore Raymond Aubrac sont passés entre ses murs durant la Seconde Guerre mondiale. En 2009, sur l’impulsion du préfet Jacques Gérault, une partie du site – comprenant l’intégralité du bâtiment carcéral – est classée monument historique, empêchant ainsi toute destruction.

Il n’en sera pas de même pour les ateliers, le pavillon des officiers, les deux tiers des murs d’enceinte et une partie du chemin de ronde, qui sont alors proposés à la vente, pour un montant estimé autour de 1,8 million d’euros. Rapidement, Lyon III manifeste un intérêt pour les terrains, souhaitant y construire des bâtiments administratifs et des résidences étudiantes. Mais les associations d’anciens prisonniers, résistants et déportés estiment que le site perdrait de son sens si une partie des murs d’enceinte était ouverte.

2012 : un contexte différent

Trois ans plus tard, les choses ont changé. Montluc est désormais un mémorial ouvert au public. Le dossier Lyon III n’a toujours pas avancé. Les ateliers, menacés de destruction, sont désormais identifiés comme lieu d’incarcération d’enfants et de femmes, pour la plupart juifs. Parmi eux, les enfants d’Izieu, enlevés dans leur colonie puis déportés sur ordre de Klaus Barbie. Des hommes sont également passés par là, comme le résistant Jean Nallit, “juste parmi les nations”. Il se rappelle son passage, en 1944 : “Nous étions dans les autres ateliers, de l’autre côté du bâtiment. Il y a de la mémoire ici. Je suis resté un mois avant d’être déporté et j’ai eu le temps de voir les gars partir se faire fusiller.”

Le préfet s’interroge

Montluc a déjà payé un lourd tribut à la destruction. En 1947, alors que les questions de mémoire n’étaient pas encore à l’ordre du jour, une baraque en bois servant à l’internement des juifs fut détruite. Aujourd’hui, seul un rectangle au sol tente de rappeler sa présence. Dans les années 1980, les ÉRIS – équipes régionales d’intervention et de sécurité – ont fait des exercices à balles réelles sur le site, détruisant une partie des cellules. Les impacts de balles et d’explosifs sont toujours visibles au premier étage.

Interrogé en septembre sur la question de la vente à Lyon III, le préfet Jean-François Carenco confiait à Lyon Capitale ses “fortes interrogations” sur ce dossier, hérité de son prédécesseur : “Le projet avec Lyon III était déjà tranché avant que j’arrive. Je n’ai pas mandat pour tout changer, et pour l’instant le terrain appartient toujours au ministère de la Défense. Lyon III a l’avantage d’être compatible avec l’esprit du lieu, et nous ne pouvons pas le céder à n’importe qui. Si la vente n’aboutit pas, alors oui, nous réétudierons le dossier.”

Le ministre en visite pour trancher plus tard ?

L’interrogation est également présente à l’esprit de Kader Arif, le ministre délégué aux Anciens combattants. En déplacement à Lyon, mercredi 14 novembre, pour inaugurer la nouvelle exposition permanente du Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation (CHRD), il s’est rendu à la prison de Montluc pour réfléchir sur son avenir et rencontrer les rescapés et témoins. Interviewé par Lyon Capitale, il confie sa volonté de protéger l’intégralité du site, sans pour autant faire d’annonces concrètes qui aillent dans ce sens : “C’est un dossier sensible, qui demande une grande attention. Il faut essayer de conserver le lieu comme il est aujourd’hui. Nous devons faire des estimations des coûts qu’engendrerait sa préservation en intégralité et voir avec les collectivités comment nous pouvons agir. Cette visite me touche au-delà de ma fonction. Il est important de tout sauvegarder.”

Un proche collaborateur du ministre estime que l’université Lyon 3 ne serait plus intéressée par l’achat du terrain, envisageant deux possibilités : “Nous poursuivons la vente avec des conditions et nous trouvons un acheteur compatible, ou bien nous protégeons tout le site. Cette interrogation est face à nous, le ministre n’est pas là pour trancher lors de sa visite.”

Pour Lyon III, le dossier suit son cours

Contactée par nos soins, la présidence de Lyon III affirme de son côté que les négociations sont toujours en cours, sans fournir le moindre détail. Selon plusieurs sources proches du dossier, l’université lyonnaise trouverait le terrain trop cher, en raison des contraintes de construction et jouerait la montre pour voir son prix baisser. Lyon III n’a pas souhaité commenter cette hypothèse.

Au final, malgré les paroles réconfortantes du ministre, les associations d’anciens prisonniers, résistants et déportés attendent la fin des questionnements pour être fixés sur les décisions et les faits. Aujourd’hui, une partie du site ne connaît toujours pas son destin. Tant que rien ne sera tranché, la prison historique de Montluc restera donc menacée.

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