Les romanciers Emmanuelle Bayamack-Tam, Loïc Merle et Jean-Noël Orengo sont convoqués ce mardi soir à la Villa Gillet pour débattre sur un thème un peu écrasant : “Désordre, chaos et réalité”. Mais la force de leur écriture à tous trois promet une rencontre sans langue de bois.
Au-delà de son intitulé grandiloquent (Désordre, chaos et réalité), la rencontre organisée ce mardi soir à la Villa Gillet réunit trois auteurs français contemporains qu’il faut assurément entendre, et donc lire, si ce n’est déjà fait.
Désordre, chaos, réalité ? Sans doute simplement parce que les personnages d’Emmanuelle Bayamack-Tam, Loïc Merle et Jean-Noël Orengo vivent dans notre monde tel qu’il est. Et se coltinent la violence, le racisme, la solitude, la liberté individuelle, (se) posant les questions auxquelles nous sommes tous confrontés.
Qui suis-je pour l’autre ?
Ces questions, Loïc Merle les pose quasiment en sourdine. Seul, invaincu, son deuxième roman, semble en effet étouffé par un brouillard de silence où les personnages (tous secondaires sauf un) avancent isolés. Après un début un peu long, leur réunion dans un étrange phalanstère montagnard au but mystérieux et avorté modifiera à peine ces trajectoires solitaires.
Si l’auteur évoque de longues discussions, des débats, ceux-ci sont toujours hors champ, jamais livrés au lecteur, qui reste en compagnie du narrateur, à côté, dans le silence de son propre débat intérieur. Lui cherche à définir l’amitié et à lui donner un sens. L’amitié avec un héros (voyou charismatique), quand on n’est qu’un personnage se vivant comme secondaire.
Qui suis-je au milieu des autres ?
À mille lieues de la solitude et des paysages montagnards de Merle, Jean-Noël Orengo nous transporte à Pattaya, spot touristique de masse et capitale thaïlandaise, ou plutôt mondiale, de la prostitution. La Fleur du capital, son premier roman, déborde à tous points de vue : foule, bruit, couleurs… et pagination (on pourrait presque dire poids, puisqu’il amasse 760 pages).
L’auteur lui ne s’est pas laissé déborder, encadrant son flot d’écrivain dans les actes d’une structure de pièce de théâtre. Son flot, ses répétitions, sont tout à fait étudiés pour nous plonger dans cette cité où nos valeurs occidentales sont transformées, notamment l’argent et le temps, mais aussi l’identité sexuelle. Pattaya est-elle alors une jungle, comme le nom d’un des personnages, Kurtz (tel celui d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad), nous invite à l’imaginer ? Ou un miroir où se révèle notre nudité existentielle ?
Je suis !
Le monde est un chaos ? Oui mais j’existe, j’y existe ! crient tous les personnages d’Emmanuelle Bayamack-Tam. On veut me réduire au silence parce que je suis pauvre (Tout ce qui brille, 1997), vieille (Pauvres morts, 2000), grosse (Une fille du feu, 2008) ? Eh bien, je ne me laisserai pas faire, je vais parler, dire qui je suis et vivre. Et ce par la grâce de la plume éblouissante de l’écrivaine. Dans son dernier roman, Je viens, elle donne voix à Charonne, et ce ne sont plus seulement les préjugés liés à la pauvreté, l’âge ou l’obésité qu’elle affronte avec ses mots mais ceux collés depuis des siècles à la couleur de peau.
Écrivains
Les trois auteurs réunis ce soir par la Villa Gillet se posent évidemment des questions sur le langage. Jean-Noël Orengo évoque une “parole omniprésente qui sature la planète”. Le héros de Loïc Merle est la proie de mots qui ne lui laissent plus de répit, des mots “qui le hantent”, dont il est “prisonnier” et dont il cherche désespérément à “tirer quelque chose”. Le mot qui l’obsède le plus ? Bataille… Emmanuelle Bayamack-Tam semble répondre “combat”, celui de la parole singulière, donc de l’écriture. À nous de les entendre.
Désordre, chaos et réalité – Rencontre avec Emmanuelle Bayamack-Tam, Loïc Merle et Jean-Noël Orengo. Mardi 31 mars à 19h30, à la Villa Gillet, Lyon 4e. Entrée : 6 euros.