Dans le dernier numéro de Lyon Capitale, on soulignait à quel point la peinture de Robert Combas est une peinture qui divise. Elle oppose, d’un côté, les inconditionnels de Combas – et ils sont nombreux, à en juger par les chiffres de fréquentation de son expo au musée d’Art contemporain – qui voient en lui un génie dénigré, et de l’autre ceux qui n’apprécient guère ce genre de peinture bavarde et criarde. L’auteure de ces lignes fait clairement partie de la deuxième catégorie.
Faute avouée est à moitié pardonnée. Alors on avoue avoir peiné à suivre cette exposition jusqu’au dernier étage. Car la peinture de Combas est une peinture excédante, qui foisonne de motifs, de mots, de détails... Trop même. La moindre parcelle semble avoir été maladivement investie par le pinceau. Manifestement poussé par une horror vacui, Robert Combas remplit et remplit encore la surface des toiles jusqu’à plus soif, jusqu'à devenir imbuvable.
Pourtant, les premières œuvres de Combas, touchantes par la précarité des supports utilisés et les tâtonnements du début, sont fraîches et aérées, comme la période "pop arabe", empreinte du style naïf des enseignes africaines de Barbès, qui l’inspirèrent lorsqu’il s’installa à Paris, en 1980. Mais rapidement le cerne noir – sa marque de fabrique – s’impose, et participe largement de cette impression de saturation. Certaines toiles dans la salle consacrée à Sète, la ville de son enfance, ont la malchance d’être accrochées sur une cimaise elle-même remplie du sol au plafond par de larges couches de couleur bleue. Idem pour la salle dédiée à la musique, avec ses milliers de disques derrière lesquels sont suspendues les toiles, brouillant la lecture et l’appréciation de celles-ci. Car le problème majeur de Combas, c’est qu’il laisse très peu respirer ses peintures – même si le MAC a tenté d’épurer au maximum – et nous aussi par conséquent. Or, voir plus de 600 œuvres en quasi-apnée n’est pas chose aisée. D’aucuns prétendent que se cachent des choses bien plus profondes qu’il n’y paraît derrière ces motifs, mais comment entrevoir quand on ne sait que voir face à ce magma de formes ? Finalement, la peinture de Combas échappe totalement, à force de saturation, et ne provoque que peu d’émotions.
C’est aussi un certain systématisme de la facture qui provoque la lassitude, malgré quelques expérimentations, comme les coulures cernées de noir ou les sujets inattendus telle la série de fleurs. C’est finalement lorsque Robert Combas interprète le travail d’un autre (celui de la poétesse Sylvie Hadjean ou des dessins d’étudiants des beaux-arts qu’il "combassise") ou quand il intègre des éléments extérieurs par le collage (comme ces têtes sculptées en grisaille qui semblent flotter dans une toile) qu’il varie la facture et la composition et, a fortiori, surprend. Irrite également l’omniprésence de l’humour en dessous de la ceinture. On n’a d’ailleurs toujours pas compris la raison qui a poussé le MAC à créer une salle interdite aux moins de 18 ans pour y montrer les dessins érotiques de Combas. Pas plus érotiques ou obscènes que la majorité des œuvres visibles dans les autres salles, qui affichent allègrement les parties génitales, masculines et féminines, avec des "Bouffe la chatte" par-ci et des "Suce" par-là inscrits sur les toiles. Quant à l’atelier, originalité de l’exposition, il est loin de correspondre aux attentes de convivialité et de partage qu’un tel dispositif pouvait sous-entendre : l’artiste travaille certes, mais derrière des miroirs sans tain.
Rendons à Combas ce qui revient à Combas : l’artiste sétois est un coloriste formidable et un dessinateur hors pair, que l’on apprécie mieux dans les rares moments d’épuration graphique, comme dans cette tête d’homme en noir et blanc, personnage évoquant Van Gogh que l’on retrouve dans une toile monumentale le représentant au milieu d’une végétation luxuriante, une des toiles les plus étonnantes de l’exposition. De ses images se dégage également une réelle bonne humeur. Les personnages ont la banane, les petites sculptures la jambe légère et enthousiaste, les chaussures sont davantage des savates de clowns, et même le Dormeur du val sourit ! Une bonne humeur qui anime également les clips qu’il a réalisés avec son groupe Les Sans Pattes. Un critère dont malheureusement se moquera le mélomane, qui aura certainement du mal à être pris, et par la mise en scène et par la musique, à la limite du ridicule et de l’inaudible…