Lyon accueille cette année un concentré du festival in d’Avignon. L’Alchimie du Verbe, un blog créé par de jeunes Lyonnais passionnés de théâtre, qui ont vu ces spectacles en avant-première cet été, vous propose ici d’en découvrir toute l’étendue.
Pour Olivier Py, le directeur du festival d’Avignon, “les spectacles sont des “lieux d’insistance” où notre démocratie pourrait se réapproprier ses fondements originels”. Pour lui, ce qui se passe sur scène pourrait devenir l’horizon d’une organisation politique. Cette ambition est motivée par un élan poétique et elle pourrait au moins nous permettre d’identifier des motifs d’espérance dont notre société ne doit pas cesser de s’abreuver pour ne pas tomber dans l’obscurantisme.
Ainsi, les Lyonnais peuvent se retrouver tout au long de l’année pour assister à des “morceaux choisis” du festival d’Avignon. Entre des œuvres de “pontes” de la scène tels Valère Novarina ou Krystian Lupa et des propositions d’artistes émergents déjà bien ancrés dans le paysage théâtral français (Arnaud Meunier, Jean Bellorini), plusieurs théâtres lyonnais accueillent cette saison des propositions inventives, révélant avec angoisse et lucidité les consciences troublées de la société et de ses individus.
Avec un ton farouche, qui reste démesurément mêlé à une belle subtilité poétique, ces spectacles laissent parfois fuser des moments d’émerveillement à même d’irradier ou de faire rire. Ces différents spectacles s’intègrent tous dans un projet à la fois poétique et politique. C’est peut-être ce qui leur confère une grande acuité en raison de leurs nombreuses résonances avec notre actualité.
Sous le signe de la lucidité et de l’espérance
Le Vivier des noms (Avignon 2015, photo ci-dessus) constitue une réflexion et un travail profonds sur l’existence humaine. Valère Novarina ponctue son spectacle de caricatures de la “société de communication” en même temps qu’il procède avec ses comédiens à une transgression des symboles politiques, religieux et philosophiques à travers des digressions constantes qui remettent en cause les systèmes de valeurs liés à nos sociétés.
Le Raoul Collectif, présent cette année avec Rumeurs et petits jours, s’adonne quant à lui à une satire féroce, fondée sur une critique des préjugés culturels et de la bien-pensance hypocrite d’intellectuels qui animent une émission de radio, Épigraphe, pour son dernier plateau. Ce spectacle, tout comme celui de Valère Novarina à certains égards, propose de mettre en ordre le chaos, sans jamais y parvenir.
Ces deux spectacles bruissent tous deux d’un art visionnaire et plastique avec une scénographie particulièrement travaillée et un travail d’acteurs très intense et totalement débridé.
La tragédie de l’être humain dans son existence
Le metteur en scène polonais Krystian Lupa, dans sa mise en scène d’une pièce de Thomas Bernhard avec des comédiens lituaniens, excelle dans l’art de décontenancer le spectateur. Place des héros évoque le destin d’une famille de juifs autrichiens dont le protagoniste, le professeur Schuster, aurait vécu sous ses fenêtres l’acclamation d’Hitler par les Autrichiens sur la fameuse place des Héros à Vienne lors de l’Anschluss. Après un exil de dix ans, la famille revient vivre en ce lieu, mais les personnages l’exècrent. Quelques jours avant un nouvel exil nécessaire, le professeur se suicide. Les personnages de la pièce, qui se retrouvent pour son enterrement, retracent dès lors toute son histoire et dressent en même temps le portrait d’une Europe sclérosée et xénophobe, mutatis mutandis proche des vents réactionnaires qui balayent nos démocraties (l’exemple de la Hongrie en atteste).
Le metteur en scène nous donne à entendre des pensées inexprimables et insaisissables puisque non expiées. Comprendre la mort du professeur, c’est évoquer le traumatisme d’un pays qui, plutôt que d’éclaircir sa mémoire et d’assumer son héritage national et spirituel, s’obscurcit dans le mensonge et la haine.
Le spectacle de Jean Bellorini, directeur du CDN de Saint-Denis, est quant à lui une adaptation du roman de Dostoïevski les Frères Karamazov. Ce travail nous interroge lui aussi sur les sources de notre humanité et évoque des tragédies de l’intime. Le spectacle peut résonner en chacun, même si le spectateur ne connaît pas l’univers de l’auteur russe. Les personnages nous murmurent avec lucidité la nécessité de se fonder sur des valeurs et de se libérer des préjugés tout en gardant un lien avec une certaine croyance. Dans cette adaptation, cette croyance s’incarne en l’amour malgré la tragédie de l’inconstance et de l’orgueil, qui détache les êtres de leur appartenance à l’humanité en les privant d’émotions et en les rendant monstrueux de par les viles actions qu’ils pourraient commettre.
Arnaud Meunier évoque lui aussi ces thématiques, à travers l’histoire d’une fille à la fin de l’adolescence et de sa mère, retracée sous la forme d’une enquête policière, et inversant différentes temporalités. Un meurtre a été commis et l’histoire nous permet peu à peu d’en comprendre les circonstances. Truckstop évoque avec froideur la naissance d’une certaine folie, sans en expliquer la teneur ni même porter de jugements. C’est un spectacle dédié à la jeunesse, qui s’inscrit naturellement dans le projet du Théâtre Nouvelle Génération.
Ces trois spectacles évoquent tous des tragédies douloureuses. Ils laissent par ailleurs une très grande place d’interprétation et de liberté au spectateur, lequel, loin de se voir asséner des vérités morales et des poncifs politiques, découvre à la lueur de ses propres démons, à l’image de sa propre démesure, que le théâtre existe en lui en plus de s’incarner sur la scène.
Dans l’ordre chronologiqueRumeurs et petits jours – Du 11 au 14 octobre à 20h + sam. 15 à 19h30,au théâtre de la Croix-Rousse.> Rencontre avec l’équipe, mercredi 12, après le spectacle.
Le Vivier des noms – Du 14 au 16 novembre, au TNP (Villeurbanne).Truckstop, de Lot Vekemans – Du 8 au 10 mars 2017, aux Ateliers (la 2e salle du TNG).Karamazov – Du 30 mars au 7 avril 2017, au théâtre des Célestins.Place des héros – Du 6 au 13 avril 2017, au TNP.
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