Hommage. Le chanteur Daniel Darc, surtout connu du grand public pour avoir été la voix de Taxi Girl, a été retrouvé mort, jeudi 28 février 2013. Il avait 53 ans.
Je vous parle d’un temps que les moins de deux fois vingt ans ne peuvent pas connaître. En ce début des années 80, deux mondes cohabitent. D’un côté les babas cool et les hardos, de l’autre les minets et les new-wave. Plus, sans qu’on puisse vraiment les ranger dans l’une ou l’autre catégorie, quelques rares punks qui se passent en boucle les disques (on ne dit pas encore vinyls) des Sex Pistols, de Clash et de Starshooter et font mine de se percer les joues avec des épingles à nourrice devant leurs parents horrifiés. C’est le temps des bringues –on ose à peine dire des boums- des fêtes du samedi après-midi, les hordes de jeunes en cyclos sillonnant la ville et s’invitant parfois de force chez le bourgeois un peu dépassé.
Les hardos singent les guitar heroes. C’est le temps d’Antisocial de Trust, de La bombe humaine de Téléphone. Et de Cherchez le garçon de Taxi Girl, qui réussira l’exploit de réunir tout le monde sur la piste de danse. Le tube n’est pas festif, plutôt froid et déprimant. La voix du groupe : Daniel Darc. Daniel le croyant, Daniel le maudit, Daniel l’autodestructeur, qui s’ouvre les veines sur scène, Daniel le défoncé, le timide, le fragile, le poète, Daniel toujours à la limite de la rupture, Daniel à la voix blanche, comme ses nuits d’angoisse que l’on devine, Daniel le vieil adolescent, le modeste, l’humble, Daniel le rescapé, jusqu’à ce dernier jour de février.
L’un des plus beaux albums français
Après Taxi Girl, Daniel Darc avait enregistré plusieurs albums en solo. On retiendra Crève cœur, sorti en 2004, qui reste son chef d’œuvre –et plus largement l’un des plus beaux albums français jamais enregistrés- et fut récompensé par une Victoire de la musique, catégorie "Album révélation de l’année". Révélation, le terme avait fait sourire ceux qui aimaient Daniel Darc comme on aime ce type d’artiste, c’est-à-dire jalousement et en secret… Album de la renaissance, de la vie retrouvée, aux arrangements subtils, mélange de home studio, de bricolages inventifs, d’économie de moyens et de profusion de sentiments intimes toujours sobrement évoqués, d’arpèges délicats, de guitares puisant à l’essence du rock, de clavecins inattendus, conférant à l’ensemble l’unité et la beauté classique d’un requiem. Et puis ses textes, comme des poignards, comme des crève coeur. Et puis sa voix, charriant tous ses mots comme un fleuve limoneux, au débit toujours incertain. Dans La pluie qui tombe, Daniel Darc chantait :
Les regrets ça va droit au cœur
Et ça y reste
Jusqu'à ce qu’on meure
Quand on est mort
Que reste-t-il
Quelques bouquets de roses
Inutiles
Bien trop fragiles
Et, comme un écho, dans Psaume 23 :
Le seigneur est mon berger
Je ne manque de rien
Sur des prés d’herbe fraiche
Il me fait reposer
Repose donc en paix, Daniel.
'Il fait froid dans nos têtes' 'Il ne reste rien a faire, juste marcher dans les rues. Marcher dans les rues et attendre qu'il fasse un peu plus jour, qu'il fasse un peu plus chaud, ou qu'il fasse un peu d'amour.'