La jeune Linda Sanchez et Armanda Duarte exposent à la BF15 deux visions abouties, besogneuses voire intimes du rapport au temps.
L'œuvre tautologique de la demoiselle Linda
D'un troupeau de petites horloges blanches posé à terre émane un ronronnement mouillé, les tic-tacs rythmant l'avancée lente de ce qui ressemble à des bestioles. Les aiguilles, comme des pattes, dépassent en effet du cadre des montres rondes et, lorsqu'elles touchent terre, les font basculer et avancer de quelques centimètres. "Plusieurs centimètres par heure", calcule Linda Sanchez. Cette plasticienne de 25 ans travaille systématiquement selon des protocoles établis. Dans cette installation justement baptisée Débattre la mesure, elle rassemble dans un même geste artistique les questions du temps et de l'espace ; un pari qu'elle relève en réalité dans la construction de toutes ses œuvres montrées à la BF15. Et notamment dans le flipbook d'un genre particulier, car impossible à manipuler comme un flipbook tant il est épais. Voici le modus operandi : après avoir spécialement construit une boîte mécanique, Linda Sanchez s'est appliquée à scanner la tranche d'un tronc d'arbre, à le scier ensuite, reproduisant ce geste jusqu'à la disparition totale du morceau de bois, et jusqu'à sa reconstruction complète, millimètre par millimètre, dans l'épaisseur du livre qui rassemble 3000 pages photographiques du tronc. "Ce livre est en tant que tel une œuvre sculpturale, explique Linda Sanchez, mais le dispositif que j'ai fabriqué pour le réaliser est au moins aussi intéressant." La boîte hermétique à la poussière de scierie qui lui a ainsi permis de scanner toutes les tranches du tronc d'arbre de façon précise, est d'ailleurs parallèlement exposée à Paris.
Nostalgie productive chez Armanda
En résonnance symétrique avec le troupeau d'horloges de Linda, sont accrochés aux murs de la galerie les plans des promenades d'Armanda Duarte. Sur du papier précieux, elle a tracé de mémoire des itinéraires qu'elle a effectués dans la ville, aboutissant à une géographie fine qui se situe entre le souvenir flou et la précision de la sensation. Avec ce même souci de la mémoire, l'artiste d'origine portugaise a installé dans la verrière de la BF15 trois embouchures de jarres traditionnelles, de celles qu'utilisait sa grand-mère pour porter de l'eau. Ces trois cercles d'argile enferment chacun une flaque d'eau, et trois gardiennes ont été sollicitées pour maintenir quotidiennement l'humidité des contenants et le niveau du liquide. L'une d'elle est Linda Sanchez, qui détaille ainsi sa responsabilité : "il s'agit de maintenir toute la tension de l'œuvre d'Armanda, et le rapport indispensable entre l'eau et la terre." De cette imagerie d'enfance, Armanda Duarte ne garde que le geste, tout en le transmettant. Le temps est ainsi distendu à la BF15, mais les liens entre les installations des deux artistes sont tangibles et serrés.
Armanda Duarte et Linda Sanchez. Jusqu'au 1er août, à la BF15, 11 quai de la Pêcherie, Lyon 1er. 04 78 28 66 63.
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