IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE... Nouvelle rubrique historique de notre site, coup de rétro quotidien sur l’actu lyonnaise passée. “Aujourd’hui”, le journal suit la montée en puissance du mouvement des chômeurs lyonnais. Dans le cadre d'une mobilisation nationale, ils réclament une revalorisation des minima sociaux. De manifestations en squats, le mouvement ira jusqu'à occuper la mairie du 3e, d'où il faudra les expulser manu militari.
Dans un contexte national tendu par la hausse du chômage, des manifestations éclatent partout en France et viennent secouer les artères des grandes villes en janvier 1998. Habituellement dispersés, les chômeurs français se sont organisés en association dès le milieu des années 1980. Mais c'est dans les années 1990 que le mouvement a pris de l'ampleur, avec notamment la création d'Agir ensemble contre le chômage (AC!) qui milite pour un temps de travail réduit à 32 heures par semaine. Marseille est la première à voir ses rues investies, fin 1997, par de nombreux chômeurs qui réclament alors le reversement du reliquat du fonds social des Assedic. D'ordinaire plus calme, Lyon est finalement touché quelques semaines plus tard par la ferveur qui s'empare de l'Hexagone. Cette étape fut décisive dans la constitution d'associations de chômeurs, mais aussi et surtout dans leur reconnaissance par le public et les élus.
Texte de l’article paru le 14 janvier 1998 (Lyon Capitale n°154), signé Frédéric Crouzet
Attention, les chômeurs lyonnais se réveillent
D'occupations pacifiques de locaux en expulsions par les forces de l'ordre, le mouvement des chômeurs lyonnais tient bon. Étonnant, non ?
A Lyon, c'est simple : les mouvements démarrent difficilement et toujours avec du retard. Mais une fois qu'on est mobilisé, rien ne peut nous arrêter. Ce mercredi 7 janvier, journée nationale d'action des comités de chômeurs, Charles Poteau, 49 ans, militant d'Agir ensemble contre le chômage (AC!), sent que la rébellion des sans-emploi lyonnais est en train de prendre. Une centaine de personnes se sont rassemblées devant la Bourse du travail. Sous l'unique banderole "contre le chômage", il y a des syndicalistes (CGT, CFDT "en lutte", FSU, Sud, CNT), des membres de Droit au logement (DAL), d'AC! et des chômeurs sans étiquette, inconnus jusqu'alors des bataillons militants, attirés par les revendications pour une meilleure indemnisation. La manifestation zigzague dans les rues du 3e arrondissement en ce début d'après-midi. Puis, le cortège envahit le centre communal d'action social (CCAS) situé dans les locaux de la mairie du 3e. L'occupation va durer cinq heures.
“Un emploi c’est un droit, un revenu c’est un dû !”
A la demande du maire du 3e et de Raymond Barre, la mairie est évacuée par les forces de police en début de soirée. Les costauds de la Brigade de répression des actions violentes (Brav) brisent la porte de bois avec un bélier. Les occupants sont expulsés manu militari hors des murs en hurlant "un emploi c'est un droit, un revenu c'est un dû !". Un mois après les chômeurs marseillais, les Lyonnais viennent en quelques heures de raccrocher les wagons avec un mouvement qui prend une ampleur nationale. Depuis ce mercredi, d'occupations en expulsions, ils ne se démobilisent pas. Et chaque jour, de nouveaux chômeurs viennent grossir les rangs. Incroyable, Lyon "la froide" se bouge. La situation est assez exceptionnelle pour être notée. Au printemps dernier, les Marches européennes contre le chômage, organisées par AC!, étaient accueillies à Lyon par seulement une trentaine de personnes. Fin 1996, une ridicule poignée de militants occupait les Assedic du cours Lafayette (Lyon 3e) pour protester contre la dégressivité brutale des indemnisations.
“Rien à perdre”
"En fait, les chômeurs, on ne peut les mobiliser que sur des trucs concrets", analyse un représentant d'AC! Les revendications de ce début d'année le sont particulièrement : gratuité des transports en commun, revalorisation des mini-mas sociaux (RMI, Allocation spécifique de solidarité...); RMI pour les moins de 25 ans. A la clé, il y a de l'argent à gagner. Alors les chômeurs sont sortis de chez eux. Tout à gagner, rien à perdre. "Qu'est-ce que je risque ?", demande Dominique, 52 ans, cadre au chômage depuis 3 ans. "Rien. Je vis avec l'ASS : 2 150 francs par mois, 74,01 francs par jour. En ce moment, j'ai 3,20 francs sur mon compte. Mon régime, c'est riz et pâtes. J'ai un costume et deux paires de chaussures. Une pour marcher. Une autre pour me présenter aux entre-$tiens. C'est tout." Depuis une semaine, les plus déterminés d'entre eux n'ont pas dormi à la maison ou au foyer. Mercredi soir, ils ont sorti les duvets à la Bourse du travail, jeudi, ils dormaient dans le hall de la mairie du 9e. Expulsés contre toute attente au petit matin, ils ont pris possession samedi des locaux de l'ancienne ANPE dans l'immeuble du Crédit Lyonnais (Lyon 2e). Les médiatiques occupations de locaux ont fait parler du comité de chômeurs tout comme les 10 000 tracts distribués sur les marchés du dimanche matin.
Une révolte populaire
Des sans-emploi ont rejoint le mouvement. Des riverains solidaires sont venus apporter de la nourriture et des couvertures. La révolte des chômeurs est populaire. Et elle ne semble pas prête de s'arrêter. Lundi 12 janvier, alors que la plupart des locaux occupés dans toute la France avaient été évacués sur ordre du gouvernement, les chômeurs lyonnais squattaient encore l'ancienne ANPE. Le milliard de francs lâché par Jospin - "de la charité" selon AC! - n'a pas suffi à les apaiser. L'annonce d'une expulsion imminente du local sur décision de justice lundi soir, n'a pas non plus fait faillir les troupes, pourtant fatiguées par cinq jours d'errance d'un lieu à un autre et cinq nuits trop courtes. S'il faut partir, ils partiront pour occuper un nouveau local. Après avoir pris le train des revendications en marche, les chômeurs lyonnais ne veulent plus en descendre.
20 ans plus tard, pas d'évolution, le chômage est toujours là malgré la croissance économique quasi continuelle.