Codirecteur avec Yoann Bourgeois du centre national chorégraphique de Grenoble, Rachid Ouramdane revient à Lyon pour notre plus grand plaisir avec Franchir la nuit, une pièce qui questionne ce que l’on fait de l’enfance de l’enfant migrant. Jeudi et vendredi à l’opéra.
Les thèmes de la migration, de l’exil ont souvent traversé les spectacles de Rachid Ouramdane, qui évoquent des réfugiés politiques ou des populations déplacées. Franchir la nuit, la création qu’il présente à cette biennale, est faite avec (et non sur) des enfants migrants. Son déclencheur fut le drame du petit Aylan. “C’est en découvrant la photo d’Aylan, nous confie Rachid Ouramdane, l’enfant kurde retrouvé mort sur les rives de la Méditerranée, que je me suis demandé : quelle jeunesse est-on en train de faire vivre ? Quel adulte est-on en train de construire et surtout, sans vouloir faire de moralisme, quelles valeurs leur donne-t-on pour qu’ils se construisent ?”
Le chorégraphe a rencontré nombre de structures chargées de la protection de l’enfance à Grenoble et c’est l’association Le Charmeyran qui lui a permis de mettre en place des ateliers de danse, de chant, de percussions avec ces jeunes migrants, tout en leur faisant rencontrer d’autres jeunes vivant sur le territoire. “Notre travail ne consistait pas à traiter de leur situation, car il y a les professionnels pour cela. Nous avons voulu simplement créer des endroits de rencontre où l’on voie ce qui s’exprime, ce qui se partage, comment ils s’expriment, occupent un plateau, comment ils sont les uns avec les autres, bien sûr cela résonne avec leur réalité.”
Une création au cœur de l’eau, avec des mouvements de foule
Au total, ils seront cinquante sur scène, avec cinq interprètes dont une chanteuse. Le groupe est fait d’un noyau stable tandis que certains sont en transit, avant par exemple de partir en famille, ailleurs. Mais le spectacle est conçu pour accueillir de nouveaux jeunes, d’autant qu’il partira en tournée et intégrera des migrants à chaque étape, avec en amont un travail de préparation avec les associations. La chorégraphie et la scénographie se construisent dans le rapport au nombre, dans une mise en mouvement de nuées, de foules, composant avec l’énergie et le fait d’être ensemble.
“Tout se déploie entre mouvements de foule et solitude, ce sont des mineurs non accompagnés, ils sont sans repères, ils sont dans une profonde solitude. Mais c’est une respiration pour eux, ce travail, ils sont dans un quotidien partagé, ils sortent du soin et, malgré le drame, ils sont dans une pulsion de vie permanente, un instinct de survie, dans le plaisir retrouvé. Ce qui m’étonne, c’est leur capacité à créer un cadre de vie où ils se remettent à jouer. Ils renouent avec l’enfance et la jeunesse. Il y a beaucoup de résilience dans la jeunesse. Après, on n’échappe pas à la tension, avec plein de facettes.”
Rachid Ouramdane a fait appel au photographe-vidéaste Mehdi Meddaci, qui travaille depuis des années sur les populations en mouvement (on a pu notamment voir son travail aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles). La vidéo déploie de manière très lente des images réalisées en grande partie dans les ateliers avec les jeunes. La scénographie est minimale, en tension autour de la Méditerranée, avec un parterre d’eau traversé de vagues. “Les films apparaissent dans ce paysage, il y a le travail des corps dans les espaces, des corps qui cherchent leur place dans les paysages. Tout se passe dans le rapport à l’eau, on est face à une mer en bord de nuit.”