CRITIQUE – En cette semaine de sorties ciné plutôt moroses, parlons du plus morose d’entre eux. Pas de panique, c’est pour la bonne cause : Woody Allen est de retour.
Jasmine French (Cate Blanchett), 44 ans, grande bourgeoise, sans un kopek depuis que son escroc de mari Hal (Alec Baldwin), homme d’affaires magouilleur type Madoff, a été arrêté et s’est suicidé en prison, quitte Park Avenue à New York, pour s’installer chez sa sœur Ginger (Sally Hawkins), au niveau de vie bien plus modeste, à San Francisco.
Thème astral de Jasmine, ange déchu : lune bleue, ascendant alcoolique dépressive. Depuis les événements qui ont fait basculer sa vie – deuil et opprobre mélangés –, Jasmine parle toute seule et s’est subitement rappelé l’existence d’une sœur dont elle se fichait quand l’argent coulait à flots, puisque tous désormais lui ont tourné le dos. Ginger et son ex-mari aussi furent victimes des magouilles de Hal, qui leur a coulé un gros paquet d’argent gagné miraculeusement à la loterie en investissements foireux. Leur existence médiocre en serait une conséquence directe. Allen filme donc le choc des cultures teinté de rancœur, entre la middle class Ginger et Jasmine, stéréotype de la blonde new-yorkaise vuittonnisée et chanellisée jusqu’au bout des ongles, autrefois entretenue par un mari riche, qui va devoir – oh mon dieu ! – trouver un travail.
La folie selon Woody
Depuis Match Point, Woody Allen n’avait plus réussi à emballer avec sa série de films européens mous, situés dans des villes ô combien cinématographiques mais dont il livrait des cartes postales sans intérêt (Vicky Cristina Barcelona, Midnight in Paris ou encore To Rome with Love). Retour en force à San Francisco, avec un scénario bien ficelé, une écriture au cordeau et une actrice de haute voltige.
Cate Blanchett, hallucinante, tour à tour touchante, hystérique et insupportable, parvient en un regard plus ou moins embué, plus ou moins cachetonné à coups de Xanax, à passer de l’humour grinçant à l’émotion pure. Avec Jasmine French, Allen a créé un personnage cassé, au disque rayé, mais trouble, obtus, qui s’obstine à ressasser (avec force flashbacks et monologues à haute voix) une vie de mensonges et de paraître qui l’a pourtant menée à sa perte, financière et mentale. Fragile et détestable à la fois, on peine parfois à être en empathie avec elle.
Car le discours critique du film post-crise des subprimes porte autant sur ceux qui ont mis le système en faillite que sur ceux qui ont fermé les yeux. Le réalisateur ne laissera donc aucune chance à son personnage en déroute, restée pendant des années la tête dans le sable, surtout pas quand elle répétera l’histoire en s’amourachant d’un ersatz – honnête, cette fois – de son défunt mari.
Bourgeoisie VS middle class
Woody Allen égraine d’énormes clichés sur les us et coutumes des riches de ce monde (villas, golf, bijoux et marques de luxe, équitation, Côte d’Azur, etc.) et ceux de la middle class, forcément moins classe, avec une Sally Hawkins (remarquable dans Be Happy, déjà fringuée en samedi chez Mike Leigh), caissière de supermarché aux accessoires et à l’appartement cheap, et son boyfriend tatoué, mèche au Pento et chemise crasse du mécano. Mais, derrière la caricature, pointe une désillusion profonde, qui anime les deux univers (et la société entière ?), entre un présent médiocre et un passé honteux qu’on ne parviendra pas à dépasser.
Blue Jasmine manque certainement de subtilité, mais la réussite du film repose sur sa dimension critique et l’ambiguïté d’un personnage en chute libre, aussi émouvant que méprisant, au point de ne plus distinguer le bleu du noir…
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Blue Jasmine, de Woody Allen, 1h38, couleur. Avec Cate Blanchett, Alec Baldwin, Sally Hawkins, Bobby Cannavale. Sortie en salles ce mercredi 25 septembre.