Avancées, ratés, excès, dérives… le neuropsychiatre livre dans son dernier ouvrage ses réflexions sur cinquante ans d’évolution de la psychiatrie.
Dans Les Âmes blessées*, Boris Cyrulnik nous convie à une plongée étonnante, pour les novices que nous sommes, dans l’univers de la neuropsychiatrie. Pas à pas, avec celui qui en deviendra un acteur essentiel, nous assistons à la création et à l’évolution de cette discipline qui a changé radicalement notre relation à nous-même et aux autres et qui n’en finit pas de se métamorphoser grâce aux neurosciences.
Ses avancées, ses ratés, ses dogmes, ses excès, ses dérives, les querelles d’écoles de ceux et celles qui l’élaborèrent, à tâtons, sont livrés ici sans fard, sans bling-bling. Car on ne peut pas tricher quand on veut soulager sa souffrance psychique en soignant celle des autres. Ce qui fut le cas de Boris Cyrulnik.
Cette histoire de la psychiatrie, loin d’être ennuyeuse, retrace le parcours d’hommes et de femmes qui osèrent remettre en question les acquis et les dogmes de leurs aînés, inventèrent les traitements chimiques pour soulager la souffrance et développèrent, après 68, la psychanalyse. Et celui d’un médecin des âmes de 77 ans qui n’a jamais renoncé quand les obstacles, et ils furent nombreux, se dressèrent sur son chemin. Ce qui explique sans doute qu’il conserve intacte sa curiosité d’adolescent et qu’il pose toujours sur le monde et les êtres un regard serein, malicieux et bienveillant. Entretien.
Lyon Capitale : Vous arrivez de Lyon, où vous avez rencontré de jeunes psychiatres… Comment trouvez-vous ces jeunes qui suivent vos traces ?
B. Cyrulnik (DR)
Boris Cyrulnik : Je les trouve formidables. Ouverts, curieux, différents, plus solides, moins dogmatiques que certains d’entre nous autrefois. Il est pourtant toujours plus facile d’être dogmatique, d’adopter une pensée unique, d’apprendre une seule théorie : sociale, psychologique, religieuse, politique…, de connaître par cœur un livre comme dans certaines sectes, ou de n’avoir qu’un leader, à aimer !Rester ouvert, faire l’effort de rencontrer l’autre, se remettre en question, douter, ne pas tricher avec soi-même, travailler à faire bouger les lignes, accepter de changer d’idée, reconnaître ses erreurs est plus difficile ! C’est ce que ma génération a fait pour “inventer” et faire exister la psychiatrie. Quand j’ai terminé mon internat de médecine, cette spécialité n’existait pas. Certains établissements ressemblaient à ce qui se passait dans le film Vol au-dessus d’un nid de coucou ! Les malades mentaux vivaient dans des conditions épouvantables. Ils faisaient peur. On les isolait.Nous avons dû innover pour en finir avec cette manière de les considérer. Innover, c’est transgresser. Il y eut donc des moments difficiles. Mais l’expérience fut enthousiasmante car tout était à faire. Nous nous sommes par exemple efforcés de comprendre la physiologie, la chimie, les mécanismes de la pensée et des émotions. Après 68, nous avons découvert l’importance de la parole thérapeutique. Petit à petit, les traitements neuroleptiques et antidépresseurs ont été mis en place. Nous nous sommes battus pour que soit reconnu le statut d’être humain à des patients que la “folie” conduisait à être rejetés par ceux que l’on disait “normaux”.En cinquante ans, nous sommes passés de la lobotomie aux électrochocs, aux traitements chimiques et maintenant aux neurosciences. Enfin, nous avons rendu la psychiatrie moins sectaire en favorisant les groupes de travail multidisciplinaires… Les jeunes aiment cette ouverture et les possibilités d’exploration, de découvertes qui lui sont inhérentes. Ce qui explique que, désormais, les mieux placés à l’internat de médecine choisissent très souvent psychiatrie, alors qu’à mon époque il était de bon ton de préférer la chirurgie.
Dans ce livre, vous dites que dès 11 ans vous avez désiré être psychiatre, pour comprendre et exorciser la folie des hommes. Racontez-nous…
Pour maîtriser ce monde et ne pas y mourir, il me fallait comprendre ! La nécessité de rendre cohérent le chaos affectif que je vivais m’a rendu psychiatre, dès mon enfance. J’ai donc d’abord suivi cette voie parce que j’avais un compte à régler. Ce qui fut aussi à l’époque le cas de beaucoup de mes collègues. C’est moins vrai aujourd’hui pour les jeunes psychiatres. La plupart s’intéressent d’abord à la démarche scientifique et humaine de la psychiatrie. Cette manière de faire bouillonner les idées influera forcément sur l’évolution de cette discipline.
C’est ainsi que vous êtes devenu neurologue, éthologue, psychiatre…
Et… maître-nageur (sourire). En réalité, j’ai fait comme tout le monde. Quand on souffre, soit on s’abandonne et on renonce, soit on affronte et on cherche à comprendre et à se faire aider. Quand j’étais enfant, comme pour tous les enfants, mon monde était binaire. D’un côté, se trouvaient les “justes”, les bons, ceux qui m’aidaient, me protégeaient et me faisaient du bien. De l’autre, les méchants, les nazis. Très jeune, pour m’en protéger et m’en rendre libre, j’ai voulu comprendre la folie nazie. Cela a orienté mon parcours.Ce mode de pensée totalitaire revient en force aujourd’hui. C’est inquiétant. Nous devons tout faire pour désamorcer ce processus. L’un des moyens dont nous disposons pour cela est de discuter, paisiblement, avec ceux qui l’expriment, en leur donnant le plaisir de douter, de se remettre en question, de comprendre, d’être en lien avec autrui, et en s’intéressant au contexte familial, religieux, social dans lequel ils évoluent. Les neurosciences montrent que le cerveau est sculpté par le milieu et les efforts psychologiques que l’on fait, ou pas. Si je suis seul, je rumine, j’aggrave ma souffrance. Si je m’ouvre, que je rencontre quelqu’un à qui je fais confiance, il ou elle va me décentrer de moi et je vais devoir faire un effort pour me faire comprendre. Cet effort modifie la structure et le fonctionnement du cerveau.
Vous avez côtoyé tous ceux et celles qui ont fait et qui font toujours la psychiatrie. Vous êtes l’un d’entre eux. Avec le recul, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ? Qu’espérez-vous de l’avenir ?
Participer à la naissance d’un mouvement d’idées est fantastique. Il y a eu beaucoup de choses, comme je le raconte dans le livre. Avant les années 1960, autistes, psychotiques, névrosés, schizophrènes, paranoïaques faisaient peur. Ils étaient abandonnés à leur sort par la société. Beaucoup les considéraient comme des animaux. Ce type de comportement était effrayant. Nous nous sommes battus pour que la psychiatrie clinique existe, pour changer tout cela et éviter ainsi les crimes liés aux lobotomies par exemple. Les avancées considérables qui eurent lieu ne furent possibles que quand il n’y avait ni conformisme ni simplification de la pensée.Sur un plan personnel, ma chance fut sans doute de n’avoir jamais appartenu à une chapelle, à une école, en particulier. Je suis resté libre. L’éthologie, discipline d’étude comportementale des bébés et des animaux, m’a permis de suivre mon propre chemin. Un parcours émaillé de grands moments de bonheur, qui furent tous des moments pionniers, de rencontres exceptionnelles, mais aussi d’épreuves. Avec, au bout du compte, le sentiment d’avoir été utile.Et les choses ne s’arrêtent pas là. L’aventure continue. La psychiatrie évolue très vite, grâce aux neurosciences et au travail interdisciplinaire. L’une des prochaines étapes prendra peut-être en compte le rôle de l’éthologie vis-à-vis de la connaissance de la conscience animale. Les animaux éprouvent des émotions et ont un mode de représentation qui leur est propre. Accepter cette réalité aidera à moins les torturer et à ne plus les considérer comme de simples objets. Toutes proportions gardées, notre comportement vis-à-vis d’eux peut connaître dans le futur une évolution aussi importante que celle qui s’est opérée par le passé vis-à-vis des malades mentaux.La psychiatrie, l’éthologie respectent et étudient la diversité du monde vivant, animaux, plantes, humains. Leurs découvertes nous conduisent à adopter de nouvelles attitudes, à voir les choses autrement, à renoncer aux dogmes. C’est enrichissant, passionnant. Un enchantement. C’est ce que j’essaye de montrer dans ce livre. Je voudrais aussi encourager chaque lecteur à oser remettre en question les acquis de ses aînés et à s’ouvrir aux autres.
En conclusion, que raconte ce livre, de vous ?
Comme le disait Vincent de Gauléjac, “toute théorie, dans tous les domaines, est un aveu autobiographique”. Ce qui ne signifie pas que les choses soient fixées à jamais. Tout reste, toujours, (re)jouable. Lorsque j’écris ou dis ce qui m’est arrivé, je ne suis plus soumis au malheur, aux événements passés. Je ne les subis plus. Je remanie ma représentation de ce que j’ai vécu. Si je me retrousse les manches, et que j’ai une idée du but à atteindre, je redeviens maître de mon monde intime. Je donne du sens aux choses que je perçois. Ce que je peux faire si je sais d’où je viens et où je veux aller, et y travaille, y crois, le veux. Cette dynamique métamorphose le monde et la manière dont j’éprouve ce que je fais, le réel. Elle est possible à tout instant.
* Les Âmes blessées, Odile Jacob, septembre 2014, 331 p.
> Rencontre avec Boris Cyrulnik le 16 octobre à 17h30 à la Fnac Bellecour (Lyon).
Mon dieu que c'est chou, ces envolées humanistes ! Mais que vivent vraiment les patients ? En voici une petite idée : depuis l’affaire du Médiator, les langues se délient ! John Virapen est justement l'ancien responsable du laboratoire Eli Lilly en Suède ; à ce titre il a écrit le livre 'Médicaments effets secondaires : la mort', paru en Français ce printemps 2014. Il y dénonce (avoue ) que : « les antidépresseurs provoquent la dépression » ;« le Prozac : des milliers de suicides ...'
il faut que je finisse, car ce milieu (presque spirituel) n'existe pas ...« le Prozac : des milliers de suicides et de meurtres » ; « pas la moindre base scientifique à la théorie de la sérotonine » ; « des prescriptions hors autorisations de mise sur le marché » ; « la dangereuse psychiatrisation de l'enfance » ; « la corruption des systèmes de santé et des médecins » ; « les malades sont trop souvent des cobayes »