De retour cette année avec un album inédit et une tournée, la chanteuse britannique Kim Wilde a connu il y a plus de quarante ans un succès évident qui a tenu une décennie durant ou presque. Et en a profité au passage pour faire quelques dégâts jusque dans les cœurs de ses confrères.
C’est une drôle de chanson de 1985 qu’on pourrait presque prendre pour une blague. La déclaration d’amour, toute en délicatesse mais aussi en impudeur, d’un musicien connu pour une chanteuse qui malgré ses succès l’est sans doute moins que lui – dans notre pays, s’entend. Car le chanteur en question est une star ici. Il a pour nom Laurent Voulzy. Bien que peu prolifique – doté d’un fameux poil dans la main, il ne pond guère plus d’un album par décennie, ce qui au total ne fait pas bézef –, il a ce truc de faire mouche à chaque fois qu’il dégaine. Et ce depuis qu’il a enchaîné entre 1977 et 1978 Rockollection et Le Cœur Grenadine. Dès lors, il se laisse aller à l’influence de muses qu’il embarque sous les projecteurs. Peu de temps avant, il a composé pour Véronique Jannot, égérie de l’époque depuis qu’elle prend ses pauses-café dans un lycée, un titre qu’il chante en duo avec elle : le pas très équivoque Désir, Désir, porté à l’international sous le titre malicieusement traduit Desire, Desire.
Mais donc, là, Voulzy oublie vite la Jannot pour jeter son dévolu sur une pop girl qui enflamme les passions et les désirs désirs masculins depuis le tout début de la décennie. La jeune femme a pour nom Kim Wilde (née Smith), elle est Britannique, et depuis 1980 a pour spécialité d’escalader à mains nues et comme tombée du lit tous les hit-parades du monde. Voulzy n’étant pas plus de marbre qu’un autre en dépit des mélodies chamallow qu’il distille au compte-goutte, il enregistre chacun des passages télé (fort nombreux) de la chanteuse sur des cassettes vidéo. Une manie admissible chez un ado mais quelque peu flippante pour un adulte ayant passé trente ans. Oui mais voilà, si on écoute un peu ses chansons, on sent bien que la Voulze est un éternel teenager. Mieux, le chanteur n’a de cesse de rebattre les oreilles d’Alain Souchon (qu’il a fort grandes) avec cette Angliche échevelée qui hante ses nuits. Et de lui passer et repasser les précitées cassettes.
Pragmatique, l’auteur de Sous les jupes des filles finit par lui rétorquer en substance qu’au lieu de le soûler avec sa blonde, il ferait mieux d’écrire une chanson, ça le calmerait peut-être. D’ailleurs, ça tombe bien, il a déjà un titre pour ladite : Les Nuits sans Kim Wilde. Sans doute pour se débarrasser du problème – et aussi parce que c’est ce qu’il fait toujours –, il lui en écrit même les paroles. Voulzy s’attelle à la musique en contemplant, faute de mieux, le flipper à l’effigie de Kim qu’il possède encore aujourd’hui, dans un style proche de la chanteuse et de l’époque – veine synthétique et électro pop. Il chante de sa voix de fausset : “Les nuits sans Kim Wilde / Je m’ennuie souvent / Des fois je me balade / Ça dépend / Je passe des scopitones / Des chanteurs sur films / Mais les frères Jackson / C’est pas Kim / Oh les nuits sans Kim Wilde / Oh les nuits sans Kim Wilde.” Bon. Il envoie le résultat à l’idole qui hésite un temps et, devant l’enthousiasme de son père, accepte de chanter (enfin, davantage de parler) à la fin du titre : “Laurent, il est l’heure de dormir / Enlève tes lunettes / Play the game, Laurent.” Le titre n’est pas vraiment un succès malgré de nombreux passages à la radio – il est même supplanté par sa face B : Belle-Île-en-Mer, Marie-Galante – mais finit par devenir culte, sans doute à cause de la démarche de Voulzy et surtout de son sujet qui ne manque pas de fasciner.
Atavisme familial
La jeune femme est en quelque sorte programmée pour une carrière dans la musique. Elle est en effet la fille de Marty Wilde, totalement inconnu chez nous mais qui a connu un grand succès comme chanteur en Grande-Bretagne dès la fin des années 50, notamment avec une multitude d’adaptations de classiques de rock américain (A Teenager in Love, Sea of Love, Endless Sleep et, plus tardivement, alors que sa carrière est faite In Dreams de Roy Orbison) ainsi que quelques-unes de ses compositions (Bad Boy, qui a notamment un petit succès aux États-Unis). On le voit aussi tourner avec les Rolling Stones et les Ronettes, écrire pour le groupe Status Quo, s’exprimer au théâtre et au cinéma ou chanter avec sa femme Joyce qui a fait partie des Vernons Girls. C’est lui qui, avec son fils Ricky – ce dernier travaille pour le label RAK –, tous deux composent et produisent, met le pied de sa fille Kim (et même les deux) à l’étrier pop.
Mais malgré l’évidence de l’atavisme familial et des moyens qui vont avec, il n’explique pas pour autant le succès fulgurant de Kim Wilde qui tient du prodige. De la maquette de Kids in America au succès dans les charts, il se passe le temps d’à peine un souffle allumant une mèche. Le titre est quasi immédiatement numéro 2 en Grande-Bretagne dans un style new wave qui flirte avec le post-punk dans une version commerciale. Chequered Love suit immédiatement et monte à la 4e place avant un album sans titre. Puis vient Cambodia qui préfigure l’album Select et monte à la 12e place (il est numéro 1 en France). Dans l’intervalle, Kids in America a traversé l’Atlantique avec un certain décalage et conquis le Nouveau Monde (25e).
Il faut dire que la formule est imparable, qui s’inscrit totalement dans l’air du temps synthétique et new wave du début de la décennie de la flambe. Quant à la jeune femme, elle est une sorte de synthèse entre Madonna en plus rentrée et Debbie Harry en version grand public. Elle partage avec la chanteuse de Blondie une sorte de détachement presque hautain qui rend fous les mâles de la planète entière (Laurent Voulzy inclus, donc). Ses yeux de chat, souvent outrageusement maquillés, en font un genre de charmeuse de serpents que sa chevelure éclatée rend gentiment punk. Tout cela marche en plus sur les platebandes du courant néo-romantique de Duran Duran, Spandau Ballet, Human League, jusqu’ici exclusivement porté par des types qui se maquillent et se coiffent comme leurs copines. Elle est un genre de garçon manqué, selon l’expression consacrée de l’époque. Le titre Love Blonde de 1983 lui colle parfaitement à la peau, mais il marque le début d’une suite en dents de scie, faite de déceptions et de spectaculaires retours en grâce, d’agenouillements devant la puissance d’un marché qui vous ringardise en un clin d’œil (ses albums Catch as Catch Can et Teases & Dares) en résurrections impossibles à prophétiser.
Transplantation record
Alors qu’on la croit essoufflée, rentrée dans le rang, si ce n’est évanouie, en 1986, Kim Wilde jaillit tel un diable de la boîte à tubes familiale, armée du single You Keep Me Hangin’ On, pour atteindre la deuxième place du Top50 britannique.
Et un an plus tard, la première du hit-parade américain. Le titre est une reprise d’un classique des Supremes revu à la sauce néo-romantique garni de guitares FM et de synthés carillonnants. Il lui vaudra, en plus d’un tombereau de disques d’or, les félicitations de Lamont Dozier, deuxième tiers du légendaire trio de compositeurs Holland-Dozier-Holland qui fit la pluie et surtout le beau temps sur le label Motown. Avec la sortie de Say You Really Want Me, Kim Wilde tente ensuite le changement d’image. Fini la froideur distanciée et les regards par en dessous qui vous crament en vous glaçant, la voilà plus provocante, comme pour jouer sur le terrain des calendar girls qui peuplent les charts à coups de sous-vêtements erratiques et de clips en forme de concours de tee-shirts mouillés (Madonna bien sûr, mais aussi les Sabrina ou Samantha Fox). Il y a aussi cette orientation vers une musique volontiers dance, très proche du canon établi par un autre trio de compositeurs à la chaîne, les fameux Stock, Aitken et Waterman, responsables des succès de Kylie Minogue ou Rick Astley, et que symbolise You Came.
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