Christian Buchet

Christian Buchet : optimiste malgré tout, grâce à la mer

Selon un récent sondage Ifop, 70 % des Français ont le moral au plus bas. Cela n’était pas arrivé depuis une vingtaine d’années. Les raisons, nous les connaissons, elles font les gros titres de l’actualité quotidienne depuis 2008 : une activité économique en berne, un chômage en hausse, des impôts qui fâchent, une crise profonde des valeurs, des difficultés inhérentes à la mondialisation… Face à ces réalités qui nous paralysent et à un avenir plus qu’inquiétant, la position d’une majorité de Français est de se montrer prudent, frileux. Ce n’est pas le cas de l’universitaire Christian Buchet. Dans son dernier livre, Cap sur l’avenir, cet expert maritime adopte une attitude radicalement différente et propose de sortir de ce marasme en exploitant notamment les ressources naturelles des mers françaises. Il dit, en substance : “L’archipel France dans le monde, grâce à nos outre-mer, n’a jamais été aussi grand de son histoire. Une situation qui nous place en seconde position juste après les États-Unis. Une puissance économique, politique, vers laquelle nous devons nous tourner sans attendre !” Entretien.

Lyon Capitale : Vous êtes un optimiste convaincu ou pensez-vous, vraiment, que nous avons la possibilité de ne pas aller droit dans le mur sur un plan social et économique ?

Christian Buchet : On vit une période extraordinaire. Cela fait plus de sept cents ans que nous n’avons pas connu de telles opportunités. Cette époque ressemble à celle de la Renaissance qui a inventé la perspective en architecture et qui a proposé, grâce à cela, une vision du monde totalement innovante.
Depuis 2008, la plupart d’entre nous, pris par les urgences du quotidien, subissent la crise sans recul. Nous nous sentons acculés, floués par des systèmes financiers qui nous dépassent, et nous ne voyons pas que nous sommes dans un contexte très favorable aux changements, aux initiatives personnelles et gouvernementales. Si nous ne sombrons pas dans le catastrophisme et que nous cessons de nous enfermer sur nos peurs, nous verrons que nos atouts sont nombreux et que nous pouvons, nous aussi, inventer une nouvelle vision du monde. Nous sommes la 2e puissance maritime au monde. Notre croissance démographique est bonne. Notre savoir-faire est réel. Nous avons de l’argent, plus que beaucoup d’autres pays… Le fond du problème n’est donc pas que nous manquons de moyens, mais que nous devons changer d’état d’esprit, et cesser de voir le verre à moitié vide, comme nous le faisons trop souvent. Ce comportement est suicidaire. Contrairement à ce qui se dit, nous n’irons pas dans le mur, si nous cessons de garder les yeux sur le guidon, et si nous nous mobilisons pour fédérer toutes les générations autour d’un projet, d’une vision commune.
Alors, confiance et haut les cœurs ! Finissons-en avec le cercle infernal dans lequel nous sommes actuellement. Envisageons notre futur avec enthousiasme, lucidité. Souvenons-nous dans les moments de doute que nous débordons d’opportunités. C’est cette approche résolument optimiste, fondée sur vingt-cinq années de recherches en histoire et d’études prospectives, que je souhaite partager avec vous, et transmettre notamment aux jeunes.

La France, 2e puissance maritime au monde, grâce aux outre-mer, juste derrière les États-Unis. C’est une carte à jouer qui n’est pas assez exploitée, selon vous…

La France n’a jamais été aussi grande. Depuis 1994 et les accords de Montego Bay*, notre pays occupe le deuxième espace maritime au monde. Ce qui nous donne accès, sur un plan économique par exemple, à des matières premières exceptionnelles, telles les “terres rares”, utilisées notamment pour la fabrication des téléphones portables. Dans un futur proche, nous pouvons devenir l’un des premiers producteurs de ce matériau. Nous détenons là un potentiel de développement économique considérable. Si nous l’exploitons, ce sera une manne financière inestimable pour l’État.
De plus, du fait des problèmes environnementaux dus notamment au réchauffement climatique, nous assisterons dans les prochaines décennies à l’ouverture des routes maritimes du Nord. La fonte des glaces entraînera une nouvelle donne géopolitique favorable à l’Occident. Ce qui, là encore, se répercutera sur notre développement économique.
Enfin, les innovations technologiques s’enchaînent à un rythme sans précédent dans notre pays. Cela va de la peinture solaire à l’énergie thermique des mers, capables de répondre aux multiples besoins des régions chaudes, dont la production d’eau douce. Autres exemples très concrets : si la France développe les énergies renouvelables, elle créera environ 180 000 emplois en moins de cinq ans ; si, en métropole, des ports comme Le Havre et Marseille sont enfin reliés de manière pertinente au reste de l’Europe et du monde, au lieu d’être des culs-de-sac comme ils le sont aujourd’hui, nos entreprises seront beaucoup plus compétitives et le chômage régressera… Nous avons de la ressource, beaucoup, mais faut-il encore prendre les bonnes décisions. On commence juste à être conscient de la place de la mer dans ce challenge.

Beaucoup de jeunes quittent la France, en ce moment. Ils ne croient pas en nos possibilités. Que faire pour les retenir ?

L’éducation n’est pas adaptée à l’univers dans lequel nous sommes rentrés depuis une dizaine d’années environ, et que nous subissons pour le moment. Si nous voulons que les choses évoluent, nous devons inventer, imaginer une vision du monde qui sorte des chemins balisés ; changer de paradigme, de modèles référents.
Pénétrer activement ce nouveau temps de l’histoire oblige à penser, voir, avoir et surtout à être différemment. L’une des multiples crises que nous traversons actuellement est liée à la perte du sens dans nos existences. Nous sommes de plus en plus nombreux à être en quête de bonheur, à souhaiter en finir avec les excès de nos sociétés de consommation. Mais, encore une fois, profiter des opportunités qui se profilent grâce aux atouts, nombreux, dont nous disposons, et prendre une nouvelle direction, ne peut se faire que si nous changeons d’état d’esprit. La manière dont nous prendrons ce tournant déterminera l’avenir de nos sociétés. Nous sommes à bout de souffle, tous les indicateurs le disent : le mal-être, le stress, la dépression, les difficultés pour les jeunes de se motiver pour travailler dans un système qui ne leur laisse pas de place… Nous n’avons pas le choix. Nous devons trouver des solutions et nous mobiliser et nous tourner, sans attendre, vers le fantastique potentiel qui est le nôtre, grâce à nos mers. Alors, allons-y, finissons-en avec la politique de l’autruche que nous menons, avec le court-termisme, avec le rapport au temps malsain que nous avons instauré et qui fait que nous nous noyons dans l’instantanéité, dans l’immédiateté. Cessons ce zapping perpétuel que nous avons pris l’habitude d’instaurer avec tout ce qui nous ennuie, en commençant par nous-mêmes. L’être humain a besoin de s’accomplir pour être heureux. Nous en avons les moyens. Alors, osons. Entraînons l’Europe dans notre sillage. Nous sommes dans un monde où tout est possible. Les trente prochaines années seront cruciales. Nous sommes responsables de notre avenir, chacun à notre niveau. C’est ce message aussi que j’essaye de faire passer dans ce livre, qui est un plaidoyer pour la confiance, la créativité, l’ouverture et l’audace pour restaurer la compétitivité. Il faut jouer la partie pour la gagner. Qu’attendons-nous ?

* Cet accord définit juridiquement les espaces maritimes des pays et les droits et les devoirs des États dans ces espaces, notamment ceux de navigation et d'exploitation des ressources économiques, ainsi que ceux de la protection du milieu marin.

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Cap sur l’avenir – À contre-courant, les raisons d’être optimistes, éditions du Moment, janvier 2014.

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