Reines du ring

Clap de fin pour les films “sexistes” à la télé ?

Le projet de loi sur l’égalité de Najat Vallaud-Belkacem donnerait au CSA des compétences pour lutter contre les stéréotypes sexistes à la télévision. Difficile cependant de toucher aux programmes.

Le projet de loi sur l’égalité, présenté mercredi 3 juillet par la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, pourrait bouleverser le petit écran. L’une de ses mesures conférerait en effet au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de nouvelles compétences pour veiller “à une juste représentation des femmes” et lutter “contre la diffusion de stéréotypes sexistes et d’images dégradantes” dans les programmes audiovisuels. En clair, le CSA obligerait les chaînes à respecter une règle de parité sur les plateaux, en invitant autant d’expertes que d’experts par exemple, mais pourrait également intervenir sur les contenus programmés, aujourd’hui jugés insatisfaisants. “Les premiers rôles dans les fictions sont généralement tenus par des hommes”, constate Sylvie Pierre-Brossolette, à la tête du groupe de travail sur l’égalité au CSA. Seules 35 % de femmes sont des personnages principaux. “Je ne nie pas quelques progrès. Mais on ne peut pas en rester là.”

Sexistes dès 4 ans, grâce à la télévision

L’Onu a lancé, lundi 1er juillet, une enquête internationale sur la représentation des femmes dans les films pour enfants, dont les résultats seront publiés fin 2014. Une précédente étude, sur plus d’une centaine de films américains pour tous les âges, a déjà montré que les femmes y sont beaucoup moins présentes que les hommes, notamment dans les positions de pouvoir, et portent davantage de “tenues sexy” qu’eux – autant de stéréotypes qui ne seraient pas sans incidence sur le développement du sexisme. Une étude menée par des psychologues de l’université de New York publiée en mars confirme que le nombre d’heures passées devant la télévision influence le jugement des enfants dès quatre ans : plus ils la regardent, plus ils estiment que les garçons sont mieux considérés que les filles, tandis que, avant trois ans, ils ont tendance à privilégier leur propre genre.

Quid des classiques ?

S’attaquer aux fictions semble donc aller dans le bon sens, mais pose en réalité de nombreux problèmes. Vu d’aujourd’hui, l’écrasante majorité des films réalisés depuis la création du cinéma reflètent une conception de l’homme et de la femme à rebours de l’égalitarisme contemporain. Les classiques de Walt Disney, par exemple, ont fait l’objet de nombreuses études dénonçant une vision machiste et “hétérocentrée” ; cette critique vaudrait pour les films de Hitchcock comme pour les dernières adaptations de comics américains. Dès lors, comment “lutter contre la diffusion des stéréotypes sexistes” sans limiter drastiquement la diffusion de ces films, y compris donc de grands classiques du cinéma ? Le philosophe Alain Finkielkraut souligne un même risque s’agissant de la littérature : “On va se dire [qu’elle] est porteuse de préjugés (…), déplore-t-il. Donc on va instaurer le soupçon et la méfiance à l’égard de l’héritage littéraire.”

“Juste une image”

Autre difficulté : inciter les auteurs de fiction à valoriser l’égalité homme/femme revient à mêler l’art, la politique et la morale. Or, pour de nombreux créateurs, une œuvre ne doit pas être soumise à de telles considérations : un film “n’est pas une image juste, résumait le cinéaste Jean-Luc Godard. C’est juste une image.” Dans une même veine, l’écrivain Oscar Wilde estimait dans la préface au Portrait de Dorian Gray qu’“une préférence morale, chez l’artiste, est un maniérisme, une faute de style impardonnable”. Si tout créateur reste soumis aux lois sur la liberté d’expression, comme le montre d’ailleurs la récente condamnation du rappeur Orelsan pour injure et provocation à la violence à l’égard des femmes, fixer une orientation politique et morale pourrait être contraire à la nature même de l’acte créateur. L’art n’est pas la communication de mots d’ordre, avançait encore le philosophe Gilles Deleuze ; c’est au contraire une forme de résistance.

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