C’est un Coldplay en pleine forme et dansant qui se présente au Parc OL ce jeudi. Mais dans ce genre de forme qui cache mal une sévère dépression. En témoigne l’étrangement festif et gênant A Head full of Dreams, dernier album du groupe (peut-être à tous les sens du terme), tentative de résilience amoureuse valant nouveau départ. Mais pour aller où ?
Dans les années 1970, la psychologue suisse Elisabeth Kübler-Ross proposait une théorie qui fit date selon laquelle le deuil, y compris amoureux, se déroulerait en cinq étapes : le déni, la colère, la négociation (avec la réalité), la dépression et l’acceptation. À cela, on peut légitimement ajouter : le changement de look capillaire raté et ce qu’on appelle le/la petit(e) ami(e) de transition – deux grands classiques avérés de la rupture amoureuse. Séparé de Gwyneth Paltrow en 2014, Chris Martin n’a pas échappé au processus. D’abord, l’album Ghost Stories (2014) passait le balai de la douleur avec la subtilité d’un éléphant époussetant une cristallerie. Puis, l’actrice Jennifer Lawrence fut sa petite amie de transition (dans une relation à rebondissements, qui justifie aussi l’appellation anglophone rebound girlfriend ou “petite amie de rebond”). Enfin, on dira ce qu’on voudra mais le dernier album du groupe, A Head full of Dreams, rapide successeur de Ghost Stories, n’est ni plus ni moins que la transposition discographique du changement de look capillaire, cette coupe pourrie qu’on se fait quelque temps après une rupture pour se donner l’illusion qu’une nouvelle vie commence (même si, avec cette tête, c’est pas gagné).
Martin y raconte, toujours à coups de “wouh-ouh” propres à faire lever des stades de toute manière déjà debout, et avec un enthousiasme tenant de la méthode Coué, sa nouvelle vie de patachon célib’. Une vie faite de nouvelles rencontres, de “cool c’est le WE, comme je me sens libre, putain” (Hymn for the Weekend) et de coups d’un soir. Martin, il le chante, aurait même bu un verre ou deux et, même, MÊME, fini pompette (feeling drunk and high) – loin de cette vie passée tant chérie à bouffer du boulghour avec sa végane de Gwyneth dans un loft trop grand en devisant sur la condition du vison d’élevage.
Ablation de surmoi
Est-ce le fait de remanger de la viande ou l’effet du panaché après si longtemps ? Toujours est-il que, comme débarrassé d’un poids et en mode foufou, Martin et son groupe font à peu près n’importe quoi. Fini les consoles confiées à Brian Eno ou Jon Hopkins, la bande et les bandes sont aux mains d’un duo de producteurs norvégiens de r’n’b ayant sévi du côté de chez Rihanna, et Chris est à deux doigts de se prendre pour Jay-Z (Army of One, Hymn for the Weekend, encore, tordant). Et les featuring – Beyoncé, Noel Gallagher, Barack Obama (enfin, un sample de) et un poète New Age –, témoignent d’une ablation totale de surmoi (petite sœur de l’amputation de dignité).
La vie d’après est cruelle, on le sait ; on veut montrer qu’on est libre et sur les rails mais on a l’air pathétique, cachant des messages dans tout ce que l’on dit en croyant être subtil, se persuadant qu’on restera amis (Gwyneth, avec laquelle Martin a inventé le concept de conscious uncoupling, chante sur l’album au même titre qu’… Annabelle Wallis, la nouvelle girlfriend). Et, surtout, se persuadant que l’avenir, ce grand vide, est un vaste champ de possibles. Un champ auquel Coldplay semble avoir mis le feu (de joie, car on s’amuse en écoutant ce disque et on s’amusera en concert). Au point même d’affirmer – faut-il le croire ? – que ce pourrait être leur dernière danse.