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Concert au Radiant-Bellevue : Alela Diane, son beau miroir

Fidèle aux scènes lyonnaises, Alela Diane revient en live nous faire écouter les chansons de son récent Looking Glass, et sans doute quelques-uns des classiques égrenés au long de sa discographie depuis une quinzaine d’années. L’occasion de se pencher sur les belles évolutions musicales et personnelles d’une femme accomplie.

Ce qu’il y a de beau avec la musique folk, c’est qu’on peut suivre, comme dans un journal intime ouvert en grand, le parcours de vie de ses interprètes rien qu’en écoutant leurs albums. Leurs pérégrinations, leurs états d’âme, les ruptures dans leur vie, les tristesses qu’elles engendrent et les morceaux que celles-ci engendrent à leur tour. Le plus bel exemple en est sans doute Bob Dylan dont l’évolution musicale a reconstitué au fil des albums celle de sa vie, de ses disparitions à ses retours, de ses amours à ses déconvenues amoureuses, de ses interrogations spirituelles aussi – quand il s’est converti au christianisme, lui qui venait du judaïsme, avant de faire marche arrière. Leonard Cohen, dont les amours inondent ses chansons de femmes inoubliables qu’il lui faudrait pourtant oublier, pourrait en être un autre.

Le fait est qu’on a l’impression de vivre un peu le même phénomène depuis le temps qu’on suit la carrière d’Alela Diane. Laquelle est passée par Lyon quasiment à chaque album depuis le premier, The Pirate’s Gospel. Si l’on a bien suivi avant tout une discographie, l’évolution du style d’une chanteuse folk apparue en plein revival américain de cette discipline au milieu des années 2000 dans le sillage indirect de la clique à Devendra Banhart et celle plus directe d’une bande de folkeuses de Nevada City (Mariee Sioux, qui l’accompagne pour son premier concert lyonnais, Joanna Newsom, harpiste farfelue, Alina Hardin avec qui elle publiera un album en duo, et Lindsay Clarke, sa voisine d’enfance), on a aussi pu assister à l’éclosion puis à la maturation d’une jeune femme dont les disques ont bel et bien suivi les courbes de l’existence. Quand The Pirate’s Gospel nous donnait à voir le quotidien d’une jeune fille bohème qui, depuis Nevada City, jouait à l’Indienne avec ses copines en faisant fleurir une éducation hippie ramenant dans les années 2000 le décorum bienveillant et boisé de La Petite Maison dans la prairie, le dernier album Looking Glass nous ferait presque croire que cette jeune femme tressée s’est évaporée pour laisser place à une presque quarantenaire libérée de tout carcan, y compris folk.

Enracinement

Au départ, donc, il y a une musique très enracinée, très revival, comme si à Nevada City le temps s’était arrêté, très attachée à la maxime de Pete Seeger : “Une nouvelle chanson n’est pas une chanson folk.” Une musique qui même semble remonter le temps. À cette époque, Alela est pourtant peu au fait des exploits passés de ses aînées Karen Dalton ou Buffy Sainte-Marie. Peut-être parce qu’elle ne se tourne vers la musique que sur le tard, tâtant surtout, dans le sillage de sa mère, du dessin et de la peinture.

Bizarrement, lorsque paraît To Be Still, on note tout de suite la métamorphose. Sans doute celle de la jeune femme qui s’est affranchie de l’atmosphère vintage de Nevada City. L’écriture est affinée, les mélodies moins brutes, l’instrumentation moins chiche. Sauf qu’en réalité, ce deuxième album a été enregistré en parallèle de The Pirate’s Gospel et n’a donc subi aucune maturation. En tout cas pas celle d’une première expérience discographique ou de la tournée qui s’en est suivie. Ni celle du succès. Comme si dès l’instant où elle est sortie de sa chambre pour jouer ses chansons aux autres, sur les conseils de la fée et amie Joanna Newsom, Alela Diane avait immédiatement soumis sa musique à un grand bol d’air. Et à la compagnie des autres, puisque l’album est un travail collectif avec notamment son père Tom Menig et le banjoïste Matt Bauer, qui l’accompagnent durablement sur scène.

Un temps, Alela enregistre et tourne même sous l’appellation Alela Diane & Wild Divine, nom tout trouvé de ce collectif de proches qui intègre également ses amies Mariee & Alina. Cela ne l’empêche pas, sur l’album Alela Diane & Wild Divine, d’affirmer son image, fantasmée en figure hollywoodienne des années 50, loin de la sauvageonne à tresses immortalisée en sépia des débuts – quelque chose de Veronica Lake. Il ne s’est pourtant passé que trois ans entre ces disques. La musique est moins folk, plus pop, plus swing, plus blues. Ce qui fait le lien, et quel lien, c’est la voix, plus affirmée, mais toujours à l’avenant avec ce vibrato folk renversant. Ce vibrato partagé avec toutes les grandes voix du genre qui vaut vibration commune, celle de l’Amérique, là où a sédimenté toute une tradition. Malgré tout, l’expérience Wild Divine, censée conquérir le public rock indé, avec Scott Litt, producteur de l’âge d’or de R.E.M., aux manettes, ne plaît guère aux fans et pas tellement plus à l’intéressée.

Libération

C’est ainsi que la chanteuse revient à l’essentiel. Peut-être bien obligée d’ailleurs sur About Farewell qui constitue l’un de ces grands albums de rupture que compte la pop (un genre en soi, du Blood on the Tracks de Bob Dylan au Back to Black d’Amy Winehouse en passant par Blue de Joni Mitchell, Rumours de Fleetwood Mac ou Us de Peter Gabriel pour ne citer qu’eux).

Le San Francisco Examiner qualifiera même le disque de “mère des albums de rupture”. C’est l’écriture des morceaux d’About Farewell qui a convaincu et aidé Alela à se séparer de son mari d’alors, lequel se trouvait parfois dans la pièce à côté quand elle écrivait une chanson sur leur relation devenue impossible. Tom Bevitori étant aussi son guitariste, le changement de groupe est obligatoire. Une décision qui inclut l’éviction de son père comme ultime affirmation d’une indépendance musicale. En réalité, les avanies personnelles sont telles que son divorce et About Farewell lui permettent de surmonter l’échec de Wild Divine en repartant de zéro absolu, une fois tous les comptes soldés. Comme une belle ironie du destin, c’est ce disque qui récolte les louanges critiques espérées pour Wild Divine. La chose à peine enregistrée, Alela retombe immédiatement amoureuse, se remarie et a un bébé. C’est enceinte qu’elle réalise la tournée promo de son album du divorce.

Tout cela donnera assez logiquement, autre incontournable musical pour les artistes féminines, un album de maternité. Après deux années, passées auprès de sa fille Vera Marie, elle prend la tangente pour une résidence dans l’Oregon, où elle écrit Cusp, alors qu’elle attend son deuxième enfant. Un album majoritairement composé au piano (à cause d’un accident domestique l’empêchant de jouer de la guitare), très doux, où elle évoque la difficulté de quitter sa fille, celle d’être artiste et mère à la fois dans le regard des autres, mais consacre aussi une chanson au petit Aylan, enfant kurde dont l’image de la dépouille photographiée sur une plage a fait le tour du monde. Là la mère et la musicienne ne font plus qu’une.

Puis, donc, il y a ce Looking Glass de cette année, où Alela continue de documenter sa vie, évoquant notamment une tempête qui secoua Portland, où elle vit. On est pour ainsi dire comme à la maison, donc, la sienne, mais dès le quatrième titre, le disque prend une autre tournure, aux arrangements sublimes et à l’intonation féerique. Comme si l’on passait effectivement de l’autre côté du miroir – le titre étant un clin d’œil à Lewis Carroll – pour entrer dans un rêve fait de souvenirs et d’introspection. Mais l’introspection chez Alela Diane est toujours connectée au global : les relations aux autres, l’état du monde, la dégradation de la nature. C’est cela qui n’a jamais changé chez la chanteuse de Nevada City mais s’est toujours renouvelé : cette manière de tisser un lien ténu entre son intimité, notre intimité et l’universel. L’écouter chanter c’est comme se regarder dans un miroir et y voir quelqu’un d’autre.

Alela Diane – Le 7 février au Radiant-Bellevue

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