John Engle, Stephen Immerwahr et Chris Brokaw © Daniel Bergeron
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Concert : Codeine, l’Opium du peu

L’événement musical de ce mois de septembre s’annonce sans flonflons et en toute petite pompe, loin des stades ou des hangars à pop, des tubes, de l’hystérie fanatique ou d’une quelconque forme de hype. La venue d’un groupe inconnu et mythique à la fois, jouant la musique la plus lente du monde et à la trajectoire fugace, les princes du slowcore, les biens nommés Codeine.

Au début des années 90, de la musique mainstream et d’une industrie musicale riche à millions et pas encore consciente que les années 2000 vont la saigner à blanc, une poignée de réfractaires tentent de se dégager à la force du poignet – quitte à se le trancher. Eux ne promettent que du sang et des larmes – ils sont en cela visionnaires.

Car, essentiellement, le mirage qu’est devenu le rêve américain dans les bras avides et guerriers de Ronald Reagan puis de son padawan George H. W. Bush (le père, donc) ne leur sied guère et ils entendent bien le faire savoir.

La partie émergée de l’iceberg prend les traits du grunge et particulièrement d’un blondinet rentré mais sacrément charismatique nommé Kurt Cobain, qui passera en peu de temps du Nirvana à l’éternité en un seul coup de fusil.

Un jeunesse alternative

Mais il y a derrière cet arbre bruyant toute une forêt plantée d’arbres tordus qui poussent de travers et ne voudraient pas vivre autrement – le pourraient-ils seulement ? Une jeunesse alternative qui accouche d’une esthétique générale, l’alternative rock – ou alt rock –, mal peignée, mal embouchée et mal dans sa peau.

On compte parmi les effectifs – qui se connaissent et se côtoient plus ou moins – un jeune baron schizophrène de la country déglinguée (Will Oldham alias Palace alias Bonnie ‘Prince’ Billy), un roitelet empêché grinçant depuis un fauteuil d’infortune (Vic Chesnutt), un prêcheur stoïque (Bill Callahan), un loser cinglé qui accouche accidentellement d’un tube énorme en faisant n’importe quoi (Beck), un redneck aux aspirations shakespeariennes (Mark Linkous de Sparklehorse), un “fils de” spleenétique (Josh Haden, fils du jazzman Charlie et son délicat Spain), un couple dysfonctionnel aux atours lynchiens (Elysian Fields mais aussi Mazzy Star), un autre qui fait pleuvoir des trombes de larmes depuis Seattle (The Walkabouts) et des tas mais vraiment d’autres (Mojave 3, Tarnation, Lou Barlow, Radar Bros, Opal, Lambchop…) qui fourmillent dans tous les coins d’un territoire immense et ratissent tous les genres, même si la base country-folk est importante.

Ce qu’il y a de plus déprimant en matière de musique

Parmi ces genres ou sous-genres flotte mollement le plus radical d’entre eux (parce que le moins sexy, le moins vendeur, le plus déprimant) : le slowcore, aussi appelé sadcore.

Le principe est d’une simplicité évangélique : les tempos les plus lents possibles, une instrumentation (et une production) minimaliste, des mélodies volatilisées et des textes en demi-teinte. Sur ce principe viennent se greffer des éléments d’esthétiques comme le post-rock, la dream pop, le jazz expérimental, soit à peu près tout ce qu’il y a de plus déprimant en matière de musique.

Parmi les princes du genre, on trouve notamment deux San-Franciscains (il y a d’ailleurs un côté saint François d’Assise dans cette musique dépouillée) tous deux prénommés Mark : Mark Kozelek de Red House Painters (“L’homme le plus triste de San Francisco”, écrivit un jour le magazine Magic) et Mark Eitzel d’American Music Club, surnommé “le Prince du sadcore”.

Mais aussi des groupes comme Swell (évoqué dans ces pages il y a quelques mois, également originaire de San Francisco), Idaho (Los Angeles) ou Low (Minnesota) dont les patronymes à la concision proverbiale annoncent superbement le manque de couleur.

Post-rock

Et puis, il y a du côté de New York, sans doute le groupe le mieux nommé de tous dans un tel contexte musical et qui aurait pu constituer à lui tout seul la bande-son de la crise des opioïdes aux États-Unis, en même temps que la musique d’ambiance de la tristement célèbre Zombie Street à Philadelphie : Codeine.

Considéré comme un des pionniers du genre, le groupe se compose d’un trio formé donc à NYC (Stephen Immerwahr à la basse et au chant, Chris Brokaw à la batterie et John Engle à la guitare). Et constitue sans doute l’une des formes les plus radicales du slowcore – American Music Club et Red House Painters composent des mélodies et de vraies (et souvent jolies) chansons, Swell et Low aussi dans une moindre mesure.

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