À quatre-vingt-quatorze printemps bien tassés, la légende folk Hugues Aufray, traducteur officiel et ami de Bob Dylan himself, s’apprête à effectuer son ultime raout lyonnais, trois mois après une chute qui a bien essayé de le tuer mais n’y est pas parvenue. Attention, Highlander !
“J’ai failli faire le grand voyage”, a déclaré à l’automne Hugues Aufray. Aux States, le pays de sa chère musique folk ? Non, pas exactement. Le chanteur venait de faire une lourde chute qui aurait pu lui être fatale et l’aurait sûrement été pour toute personne de son âge dans la même situation. Il en a été quitte pour une petite opération et une côte cassée.
Dommage, il était en pleine tournée et devait jouer à Lyon fin octobre. Il sera finalement sur scène dans nos contrées lyonnaises le 23 janvier, moins de trois mois après l’accident, quand n’importe quel autre chanteur de sa génération aurait sans doute purement et simplement annulé sa tournée.
Problème : il n’y a plus de chanteur de la génération de Hugues Aufray. Hugues Aufray a 94 ans. Pas 74, pas 84, non, 94, le centenaire qui guette est toujours fringant comme un jeune homme ou presque.
Car l’homme qui, faut-il le rappeler, a passé une partie de sa très longue carrière à vulgariser, en français, avec plus ou moins de réussite, le répertoire de Bob Dylan, était déjà, chose rare dans l’histoire de la fanitude, quasi adolescent quand son idole est née dans le Minnesota en 1941. Lorsque Santiano, son plus grand succès, son tube immortel (et un peu relou, à force), sort en 1961, Dylan est encore balbutiant et Aufray a déjà trente-deux ans, un âge bien tardif pour percer dans la chanson quand toutes les stars des yéyés (les Johnny, Eddy, Sylvie) sortent à peine de l’âge tendre pour ne pas dire ingrat.
Dylan, Pesquet, Diaw
C’est à la même période qu’invité à New York par Maurice Chevalier, Aufray rencontre Peter, Paul & Mary, qui l’introduisent dans le milieu folk alternatif du Village et lui font découvrir un jeune type renfrogné à la voix grinçante et aux textes touchés par la grâce, Bob Dylan.
Ne comprenant alors pas un mot d’anglais, Aufray a la sensation immédiate, comme tous ceux qui ont croisé le chemin du Zim’ dans les années 60, d’avoir affaire là “à la chose la plus importante vue de [s]a vie”, ni plus ni moins. Il s’empresse d’adapter le chanteur, qui n’a pas encore traversé l’Atlantique, dans la langue de Molière, comme c’est à la mode dans les yéyés de l’époque (il en adaptera bien d’autres comme les Beatles ou Roger Miller mais Dylan restera son terreau d’exégèse favori). Il publiera ainsi plusieurs albums consacrés aux chansons de son jeune maître.
Cela ne l’empêche pas de composer de nombreux succès dans une veine oscillant entre folk et variété française qui lui vaudront d’ailleurs bien plus de succès, mais il revient toujours à Dylan, non sans lisser quelque peu la teneur rageuse des textes américains originaux, souvent passés à l’eau de rose. En 1984, à l’occasion de deux concerts à Sceaux et Grenoble, il chante même The Times They Are a-Changin aux côtés de Dylan en personne, devenu très vite son ami.
Aufray est d’ailleurs un spécialiste des accointances tirées par les cheveux. En 2021, il écrit une chanson en hommage à Thomas Pesquet, chanson qui s’envolera dans l’espace par l’intermédiaire du basketteur Boris Diaw (dont Pesquet est un admirateur) rencontré lors d’une expo photo et grand fan (improbable) d’Aufray (un bien étrange Kamoulox artistico-sportivo-cosmique).
Attention, la tournée du chanteur s’intitulant Pour la dernière fois, il semblerait que ce soit là l’ultime chance de l’applaudir. Encore qu’avec ce genre d’énergumène increvable, on ne soit jamais à l’abri d’une tournée du centenaire.
Hugues Aufray - Pour la dernière fois – Le 23 janvier à la Bourse du Travail
Ce furent mes premiers vinyles des 45 Tours achetés chez le disquaire du coin ,écoutés sur un "Teppaz".